Il y a dix ans, les Occidentaux apprenaient de leurs médias que la Russie attaquait son modeste voisin, la Géorgie, au moyen de chars et d'avions de guerre. Le président géorgien, Mikheil Saakachvili, multipliait alors les interviews, expliquant que son pays était pris d'assaut en raison de son attachement à la liberté et aux valeurs démocratiques. Les médias occidentaux, en outre, ne manquaient pas de faire valoir que la Géorgie souhaitait rejoindre l’OTAN, sous-entendant que cela aurait pu motiver l'intervention militaire de Moscou.
Le même jour, les téléspectateurs russes apprenaient, de leur côté, que le président Saakachvili se lançait dans une aventure militaire, déployant chars et artillerie lourde afin de bombarder la ville de Tskhinvali, capitale de la région indépendantiste d'Ossétie du Sud. Des soldats russes des forces de maintien de la paix, qui y étaient stationnés selon un accord engageant la Géorgie, avaient été tués. En réponse, le président Dmitri Medvedev ordonnait une réponse militaire, avec pour objectif d'assurer la paix dans la région.
En d'autres termes : la couverture médiatique des faits, côté russe et occidentale, était on ne peut plus dissemblable. Quid des faits ?
Une guerre courte et sanglante
La guerre fut courte et sanglante : en cinq jours, l'armée russe est parvenue à mettre en déroute les troupes géorgiennes. Bilan du conflit : plus de 800 morts, 1 700 blessés et 120 000 déplacés, selon les chiffres rapportés par l'AFP.
Un accord de paix négocié, au nom de l'Union européenne, par le président français Nicolas Sarkozy a finalement abouti au retrait des troupes russes de Géorgie. Cependant Moscou a reconnu comme Etats les régions séparatistes d'Ossétie du sud et d'Abkhazie, qui avaient déclaré leur indépendance, et y maintient depuis une présence militaire. L'Ossétie du sud et l'Abkhazie avaient déjà défendu leur indépendance lors d'une première guerre contre les forces de Tbilissi, après la dislocation de l'URSS au début des années 1990.
Une guerre déclenchée par Tbilissi, selon une enquête sponsorisée par l'UE
De Moscou et Tbilissi, à qui revient la responsabilité d'avoir déclenché les hostilités ?
Au commencement du conflit : dans la nuit du 8 août, les troupes géorgiennes lancent un assaut sur la région séparatiste d'Ossétie du sud, soumettant sa capitale, Tskhinvali, à des bombardements aveugles. Des soldats russes des forces de maintien de la paix (dont la présence est prévue par l'accord de Sotchi de 1992) ainsi que des civils russes périssent, provoquant une réponse rapide des forces armées russes. Le président géorgien Mikheil Saakachvili assure, de son côté, que l'assaut de ses troupes était une manière de prévenir une invasion russe de la Géorgie.
Toutefois, la responsabilité géorgienne dans le déclenchement du conflit a été confirmée par le rapport de la mission d'enquête internationale indépendante sur le conflit en Géorgie, commandé par l'Union européenne en 2009. On y lit en effet : «Le bombardement de Tskhinvali par les forces armées géorgiennes dans la nuit du 7 au 8 août 2008 marqua le début d’un conflit armé d’envergure en Géorgie.»
De même : «La question était de savoir si l’usage de la force par la Géorgie en Ossétie du Sud qui a commencé par les bombardements de Tskhinvali dans la nuit du 7 au 8 août 2008 était justifié en matière de droit international. Ce n’était pas le cas.»
De «l'invasion» à «l'occupation» de la Géorgie
Or, dix ans plus tard, en 2018, rien n'a changé en matière de lecture occidentale et géorgienne du conflit. Même si le rapport commandé par l'UE a confirmé que Tbilissi avait attaqué en premier et sans déclaration de guerre, certains dirigeants, responsables et médias continuent d'affirmer le contraire. Ils dénoncent la présence militaire russe en Ossétie du Sud et en Abkhazie découlant pourtant de cette guerre déclenchée par la Géorgie, et passent de la rhétorique de «l'invasion» russe de la Géorgie à celle de «l'occupation» du pays.
Ainsi, ce 7 août 2018, la Géorgie a condamné l'«occupation» de son territoire par la Russie, à la veille du dixième anniversaire du début de la guerre. «C'est une guerre contre la Géorgie, une agression, une occupation et une violation flagrante du droit international», a martelé le président géorgien Guiorgui Margvelachvili lors d'une réunion avec ses ministres et des responsables venus de Lettonie, Lituanie, Pologne et Ukraine. «L'appétit de l'agresseur n'a fait que se creuser depuis l'invasion», a-t-il ajouté, dans une allusion à la Russie voisine, continuant donc d'inverser les responsabilités dans le déclenchement des hostilités.
De même, lors d'un appel téléphonique avec Guiorgui Margvelachvili ce 8 août, le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo a rappelé que «les Etats-Unis n'accepter[aient] jamais l'occupation des territoires géorgiens», selon un communiqué de la présidence géorgienne. Washington a également confirmé «son profond soutien à la souveraineté et à l'intégrité territoriale de la Géorgie», promettant de l'aider «face aux défis que connaît le pays dix ans après l'agression militaire russe».
Enfin, la haute-représentante de l'UE pour les Affaires étrangères Federica Mogherini a regretté «la présence militaire russe en Abkhazie et Ossétie du sud», de pair avec la diplomatie française qui a jugé celle-ci «inacceptable».
Medvedev : une réaction russe nécessaire pour la «stabilité dans le Caucase du Sud»
Face à cette persistance, dix ans plus tard, des accusations portées contre Moscou pour sa gestion du conflit et de ses suites, le Premier ministre russe Dmitri Medvedev, qui était président à l'été 2008, a tenu à mettre les points sur les «i». Selon lui, les mesures entreprises par Moscou étaient les seules possibles pour «préserver une paix durable et la stabilité dans le Caucase du Sud».
«En considérant qu'une personne si instable mentalement occupait le poste de président de Géorgie à l'époque, il n'y avait simplement pas d'autre solution», a fait valoir le chef du gouvernement russe dans une interview diffusée ce 6 août sur les ondes de la radio Kommersant, en faisant référence à Mikheil Saakachvili, alors au pouvoir en Géorgie. «Tout le monde ne comprend pas que chercher des ennuis à la Russie afin de poursuivre des ambitions irréalistes s'avère très coûteux. Si la situation avait été irrésolue, [les autorités géorgiennes] auraient pensé qu'elles pouvaient s'en tirer avec des provocations incessantes, qu'elles pouvaient espérer s'emparer de terres lors d'une autre campagne militaire stupide, et ainsi de suite», a-t-il poursuivi.
La décision russe de laisser stationner des troupes en Ossétie du Sud et en Abkhazie, critiquée par l'Occident, a assuré la stabilité à la frontière russe et sauvé des vies dans ces nouvelles républiques, selon Dmitri Medvedev. L'actuel Premier ministre russe a ajouté que la fin de carrière politique de Mikheil Saakachvili était «une très bonne chose pour la Géorgie elle-même».
Pour autant, Tbilissi ne semble pas déterminé à apaiser ses relations avec Moscou. La Géorgie, en effet, poursuit ses efforts pour adhérer à l'OTAN. «Incompréhensible» pour Dmitri Medvedev qui estime que cette volonté est susceptible de «déclencher un terrible conflit», au vu des prétentions des autorités géorgiennes sur l’Ossétie du Sud et l'Abkhazie, aujourd'hui placées sous la protection de la Russie.