Les ambassadeurs des pays du G7 ont fait savoir ce 21 juin être «très préoccupés» par la situation du cinéaste et activiste ukrainien Oleg Sentsov, emprisonné en Russie depuis août 2015 et qui a entamé une grève de la faim il y a 39 jours. Ils ont également appelé à sa libération et appelé Moscou et Kiev à effectuer un échange de prisonniers.
Qui est-il ?
Oleg Sentsov est né à Simféropol, la capitale de la République de Crimée. Aujourd'hui âgé de 41 ans, il a réalisé plusieurs courts-métrages entre 2008 et 2011. Cette année-là, il accède à la notoriété après la projection de son premier long-métrage lors du Festival international du film de Rotterdam. Après le début en novembre 2013 du mouvement Euromaïdan à Kiev, qui aboutira au renversement du président ukrainien Viktor Ianoukovitch, Oleg Sentsov est devenu un activiste d’Automaïdan, un mouvement de manifestants en voiture qui en est issu.
De quoi est-il accusé ?
Durant la crise de Crimée en 2014, qui aboutira à son rattachement à la Russie, il apporte un soutien logistique à des militaires ukrainiens stationnés sur la péninsule.
Il est en outre accusé d'avoir coordonné l’action d’un groupe d’activistes liés au mouvement paramilitaire néonazi ukrainien Secteur Droit (Pravy Sektor), interdit en Russie. La mission de ce groupe consistait à frapper des organisations politiques et des infrastructures en Crimée, dans le but de faire revenir la péninsule dans le giron de l'Ukraine.
Ce groupuscule serait responsable d'avoir mis le feu aux bureaux de la Communauté russe de Crimée, une organisation publique, et au bureau local du parti Russie unie, le parti au pouvoir en Russie, à Simféropol, au printemps 2014, ainsi que d'avoir essayé de faire exploser une statue de Lénine, le 9 mai 2014.
Le 25 août 2015, la cour pénale de la ville de Rostov-sur-le-Don, dans le Sud de la Russie, l'a condamné en raison de ces faits et l'a reconnu coupable de «terrorisme» et de «trafic d'armes». Oleg Sentsov a pour sa part toujours clamé son innocence. Reconnu coupable, il a été condamné à 20 ans de prison. Cette décision a été à l'époque condamnée par l'ONG Amnesty International et dénoncée par Kiev, l'Union européenne et les Etats-Unis.
Oleg Sentsov est depuis détenu au sein d'une colonie pénitentiaire russe située dans la région de Iamalie, au-delà du cercle polaire arctique russe. En Occcident comme en Russie, des intellectuels proches des milieux du cinéma ont appelé à plusieurs reprises à sa libération.
Pourquoi cette grève de la faim ?
Le cinéaste, dont la double nationalité russo-ukrainienne empêche, selon les autorités russes, tout transfert en Ukraine, a entamé une grève de la faim «illimitée» le 14 mai et fait savoir qu'il était «prêt à mourir en prison en conséquence».
Il exige la libération de «tous les prisonniers politiques» ukrainiens détenus en Russie, sans pour autant réclamer sa propre grâce. Par «prisonniers politiques», Oleg Sentsov entend les citoyens ukrainiens accusés d'actions dirigées contre les autorités russes.
Quant au timing de son action, il ne doit rien au hasard, puisque le cinéaste voulait attirer l'attention sur son cas et celui des autres prisonniers ukrainiens au moment où le monde entier a les yeux rivés sur la Russie à l’occasion du Mondial 2018.
Comment va-t-il ?
Le 28 mai, à son quatorzième jour de grève de la faim, l'activiste a accepté de son plein gré une «thérapie de soutien» et a été pris en charge par le personnel médical de la prison afin de poursuivre sa protestation, selon les autorités russes. Son état a alors été jugé satisfaisant. Selon la déléguée russe aux droits de l'homme, Tatiana Moskalkova, citée par l'AFP ce 20 juin, un «contrôle quotidien de l'état de santé» d'Oleg Sentsov a été mis en place et il «n'a pas perdu de poids».
Le 9 juin, Oleg Sentsov a rendu publique une lettre adressée aux dirigeants du G7. «Chers Messieurs ! Merci beaucoup pour ce que vous et vos pays faites pour l'Ukraine. Nous avons encore beaucoup à faire par nous-mêmes et avec votre aide. Par exemple, pour gagner cette guerre hybride contre notre ennemi», explique-t-il dans cette dernière, en référence à la Fédération de Russie.
Que font Moscou et Kiev ?
Ce 21 juin le président russe Vladimir Poutine et son homologue ukrainien Petro Porochenko ont eu un entretien téléphonique pour la seconde fois en moins de quinze jours. Le président ukrainien a appelé à sa libération, ainsi que celle de «tous les prisonniers ukrainiens détenus dans des prisons russes et dans celles des territoires occupés», terme employé par l'Ukraine pour désigner, notamment, la Crimée.
Le Kremlin a de son côté fait savoir dans un communiqué que «le sujet d'un échange de prisonniers a été évoqué» par les deux dirigeants au cours de cet entretien.
L'Ukraine, par l'intermédiaire de son chef de la diplomatie, Pavel Klimkine, a appelé de nombreuses fois les pays occidentaux à faire pression sur le plan politique et diplomatique sur la Russie, notamment par l'intermédiaire d'un durcissement des sanctions. La diplomatie ukrainienne avait en outre clairement appelé à gâcher la fête du football en Russie, en se servant notamment du cas d'Oleg Sentsov.
Qu'en pense Vladimir Poutine ?
Pour autant, au cours de la ligne directe avec ses concitoyens ce 7 juin, le président russe Vladimir Poutine a précisé qu'un échange de prisonniers entre Oleg Sentsov et Kirill Vychinski, journaliste ukraino-russe arrêté le 15 mai dernier à Kiev, n'était pas envisageable. Rédacteur en chef de l'agence de presse russe Ria Novosti en Ukraine, ce dernier a été emprisonné pour «activités anti-ukrainiennes» et «haute trahison». Mais l'intéressé rejette toutes les accusations portées à son encontre et dénonce une «atteinte à la liberté d'expression».
«En ce qui concerne ce monsieur Sentsov, il a été arrêté en Crimée non pas pour ses activités de journaliste mais pour préparation d’un attentat», avait expliqué le chef d'Etat russe. «Ce sont deux choses complètement différentes et incomparables», avait-il ajouté qualifiant l’arrestation de Kyrylo Vychynski d'«absolument sans précédent et inacceptable».