«L'Europe est le navire amiral de l'ultralibéralisme» : tel est un exemple d'affirmation que Radio France international (RFI) considère comme un préjugé à l'égard de l'Union européenne. Et le média destiné à une audience francophone mondiale propose sur son site d'y répondre par des histoires de vie et des monographies. «Une vague populiste et eurosceptique submerge aujourd'hui l’échiquier politique des grands pays européens», déplore RFI pour expliquer le sens de son initiative.
Des Européens face aux clichés eurosceptiques
Forte de ce constat, la chaîne de radio publique propose un article en ligne, multimédia et interactif, intitulé «L'Europe et moi ?», dont c'est la «saison 2», selon un registre calqué sur celui des séries télévisées. Disponible sur son site depuis le 1er juin 2018 et décliné à l'antenne dans l'émission Accents d'Europe, RFI met en avant des «Européens face aux clichés eurosceptiques» qu'ils dénoncent «parfois seulement en partie». «Découvrez leurs histoires et décryptez les idées reçues», est-il promis. La radio annonce par ailleurs en toute transparence : «Ce projet est cofinancé par l'Union européenne».
«Cliché N°1 : l'Europe est le navire amiral de l'ultralibéralisme»
Dans le cas du «cliché» d'une Union européenne porte-étendard de l'ultralibéralisme, RFI met ainsi, de façon quelque peu paradoxale, en avant la success story d'une Grecque, «Elli, chef d'une petite entreprise [qui] doit faire face aux plans d'austérité imposés par l'U.E.». Elli se montre très critique. «L'Europe a choisi l'austérité pour la Grèce et le reste de l'Europe. Personnellement, je pense que cela finira par détruire l'Europe», déplore-t-elle dans la vidéo qui lui est consacrée.
Mais quelle est donc la définition de «l'ultralibéralisme» qu'a retenue RFI ? «En 2009, l'Union européenne est venue au secours de la Grèce qui ne pouvait plus se financer sur les marchés internationaux», apprend-t-on encore, même s'il n'est pas précisé qu'au détour de cette bonté européenne, la crise grecque a rapporté aux banques allemandes plus d'1,3 milliard d'euros... RFI ne cherchera toutefois pas à réfuter le projet d'adhésion de Bruxelles aux nombreux accords de libre-échange – ultra-libéraux stricto sensu – parmi lesquels le fameux Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement, connu sous les acronymes en anglais de TAFTA ou TTIP. Instituant des juridictions supranationales permettant de sanctionner les Etats dans le cas où leur législation nationale entraverait le libre-échange, l'accord, négocié dans le plus grand secret, est sans doute l'expression même de l'ultralibéralisme, dont l'un des crédos est de réduire le rôle de l'Etat.
Mais l'énoncé pourrait laisser dubitatif le lecteur adepte de ce «cliché eurosceptique». Ainsi, la meilleure preuve que l'UE ne serait pas ultra-libérale, serait qu'elle porte des politiques d'austérité budgétaire ? Au-delà de cette argumentation, il est à noter que la politique restrictive de la Banque centrale européenne s'explique aussi par le rôle déterminant des marchés financiers. Ceux-ci font en effet la pluie et le beau temps sur les taux d'intérêt auxquels les Etats membres de l'UE placent et refinancent leur dette souveraine. Une dépendance encore accentuée par le fait que les Etats ont abandonné leur politique monétaire à Francfort, avec la mise en place de l'euro.
Alexis Tsipras a dû accepter de nouvelles réformes libérales [européennes]
Comme pour chaque «cliché», un texte pédagogique souligne de surcroît le «non» des Grecs lors du référendum de 2015 aux mesures budgétaires drastiques exigées par Bruxelles. «Alexis Tsipras a dû accepter de nouvelles réformes libérales [européennes]», est-il rappelé. Quant à l'austérité, «imposée par la troïka», d'après les termes choisis par RFI, elle est y montrée du doigt pour avoir provoqué «la hausse du chômage et la baisse de la consommation». Alors : rigueur inspirée par des marchés ultra-libéraux, ou ultra-libéralisme dicté par les traités de libre-échange ? Cette alternative ténue pourrait expliquer les difficultés de la protagoniste, Elli, à défendre l'Union européenne.
«Cliché N°2 : L'islam menace l'identité européenne»
Avec les mêmes difficultés de construction rhétorique, un second «cliché» est abordé dans une vidéo qui dresse le portrait de Gözde, une Autrichienne de 29 ans, présentée comme étant tout à la fois «musulmane et féministe». Faisant connaissance avec la jeune femme, on apprend qu'elle lutte aussi contre le racisme et l'islamophobie. Gözde est également passionnée de hip-hop et se dit attachée au Coran. «[Le livre] évoque les notions de justice, d'équité, de compréhension», explique-t-elle, affirmant être «une citoyenne du monde» et s'appuyer sur «le réseau de la société civile musulmane».
Accompagnant cette vidéo, une présentation écrite et illustrée met en valeur des données qui tendent d'une part à démontrer l'adhésion croissante des Autrichiens au cliché voulant que «l'islam menace l'identité européenne» et, d'autre part, à expliquer «les causes de la montée des extrémismes en Europe». Si RFI propose ici un portrait sensible d'une militante antiraciste musulmane, soucieuse de préserver son identité et sa culture, extra-européenne, la vidéo échoue toutefois à expliquer ce qu'est l'identité européenne, elle-même.
Lire aussi : Percée de l'AfD en Allemagne : la question identitaire n'est plus un tabou
«Cliché N°3 : l'Europe affaiblit les souverainetés nationales»
Pour RFI, la souveraineté est un concept positif... mais le souverainisme non. Et c'est l'histoire d'un certain Balint, un activiste hongrois âgé de 30 ans qui permet, dans une troisième vidéo, d'illustrer et d'étayer ce jugement de valeur des concepteurs de «L'Europe et moi». RFI ne fait pas mystère, d'ailleurs, du ton ouvertement très critique à l'égard du souverainisme qui caractérise cette vidéo. «En Hongrie, Balint combat le discours souverainiste de Viktor Orban», détaille ainsi la description de la vidéo.
Evoquant les trois victoires électorales démocratiques successives de Viktor Orban, la vidéo rappelle rapidement le caractère «populiste» de son positionnement politique. Elle évoque ensuite le sort du milliardaire Georges Soros – dont la fondation Open Society a quitté le territoire en mai 2018) – adversaire du Premier ministre hongrois, avant d'expliquer les mesures prises par ce dernier pour lutter contre l'immigration.
Lire aussi : Hongrie : triomphe d’Orban, cauchemar de Bruxelles
«Cliché N°4 : l'Europe favorise le dumping social»
La quatrième vidéo propose de vivre la vie de Cristian, un travailleur détaché roumain. Cristian illustre à la perfection la trajectoire d'un salarié forcé de s'exiler pour gagner sa vie, entrant du même coup en concurrence avec des travailleurs locaux. Eux-mêmes, peut-être un jour, contraints de prendre la route pour trouver, à leur tour du travail.
On apprend en effet dans cette vidéo qu'en signant un contrat de travail à Dunkerque, Cristian s'est vu offrir une rémunération de 5 euros de l'heure pour un rythme de 10 heures par jour. Logeant par ailleurs dans un camping situé à 50 km de son chantier, il n'a pas bénéficié de congés payés. Il raconte également ses négociations difficiles face à des employeurs malhonnêtes.
«Grâce à l'entrée de la Roumanie dans l'UE en 2007, les entreprises roumaines ont pu profiter de la directive sur les travailleurs détachés», explique ainsi le texte accompagnant la vidéo, ainsi titré : «Les fraudes et dérives du système». «Le principal reproche adressé à ce système est d’encourager le "dumping social", soit la mise en concurrence déloyale des salariés. En effet, cela permet à un employeur d’embaucher des travailleurs à moindre coût dans des pays aux cotisations sociales bien plus élevées», est-il encore détaillé dans le texte.
Mais alors, que faut-il en conclure ?