Alors que près de 60 millions de réfugiés errent de par le monde, avec des chances quasi-inexistantes de retour dans leur pays ou d'intégration dans des sociétés voisines, un américain richissime a connu une épiphanie. Jason Buzi, un grand nom de l'immobilier à San Francisco, a émis l'idée de créer un nouveau pays. Sur un territoire inhabité, une nouvelle nation pourrait naître. Un état qui appartiendrait à ceux sur terre qui sont dépossédés de leur pays : les réfugiés.
Buzi ne s'est d'ailleurs pas contenté d'en émettre l'idée : il aurait déjà dépensé entre 10 000 et 15 000 dollars (entre 9 000 et 13 500 euros) pour constituer une équipe de réflexion pour l'aider à poser les bases de ce projet, et souhaite voir d'autres grandes fortunes et des gouvernements investir dans cette entreprise. «Si vous avez Angelina Jolie, par exemple, qui appuie ce projet, cela va influencer beaucoup plus de monde et pousser le public à se renseigner sur le projet», affirme-t-il.
Un coup de génie ou un trait de folie ?
S'il est facile de rire d'un projet dont l'énoncé ne prend pas en compte l'essentiel des facteurs géopolitiques, ethniques et structurels qui pourraient rendre l'idée applicable, on sera surpris de constater que l'écho reçu est plutôt positif, notamment venant d'experts et de professionnels de la question des réfugiés. «Ce qui me plaît dans ce projet, c'est la morale à en tirer : on ne fait rien alors que le problème [des réfugiés] est réparable», explique James Hathaway, directeur du programme des réfugiés et des demandeurs d'asile à la faculté de droit de Michigan.
Pour l'auteur de l'idée, le projet est à prendre avec le plus grand sérieux, les sommes qu'il a déjà investies dans ce sens montrent sa détermination. «Je trouve ça presque choquant que personne n'en parle comme d'une potentielle solution», affirme-t-il. «Il y beaucoup d'individus sans pays dans le monde, aujourd'hui», ajoute-t-il, «l'idée est que, si on peut leur donner leur propre état, ils auraient au moins un endroit où vivre en sécurité et avoir le droit de vivre et de travailler comme n’importe qui».
Malgré cet enthousiasme, le projet soulève des questions logistiques qui fragilisent les certitudes autour de sa réalisation. Où trouver un tel territoire ? Jason Buzi évoque des étendues vides ou des lieux peu habités, comme la République dominicaine. Il faudrait compter sur l'altruisme d'un pays souverain pour louer ou vendre une partie de son territoire national à un tel projet. Une fois chose faite, il faudra espérer que les réfugiés aient l'intention de s'y rendre. Un point qui n'angoisse pas les spécialistes : «à l'heure de la mondialisation, si on laisse aux gens une liberté de choix, ils finiront par décider d'où est-ce qu'ils veulent vivre. Il est vraisemblable qu'ils cherchent à rejoindre leurs amis, leurs famille, dans un lieu où des opportunités existent pour eux», avance Alexander Betts, directeur du Centre d’Étude des Réfugiés à l'Université d'Oxford.
Si le projet parvenait à voir le jour et qu'un état-nation existait en effet pour les réfugiés, un travail conséquent sera à effectuer en terme d'application des Droits de l'Homme. C'est la partie de l'idée de Buzi qui est la moins approfondie et la plus décriée. James Hathaway, évoquant le sujet, pointe du doigt des entreprises similaires qui n'ont pas forcement réussie. Parmi celles-ci : l'Australie, qui loue des terres aux îles-nations du Pacifique, pour y installer des chercheurs d’asile. «C'est comme cela qu'on se retrouve avec un camp de prisonniers à très grande échelle», explique le chercheur, avertissant du danger de voir «Refugee Nation» devenir une nouvelle bande de Gaza.
Quelques soient les difficultés soulevées, le projet suscite un enthousiasme dont l'origine, selon toute vraisemblance, est la situation intenable des réfugiés comme des pays qui les accueillent. Certains de ces derniers plient aujourd'hui sous le nombre croissant de réfugiées cherchant asile chez eux. Le Liban, le Kenya ou encore la Jordanie sont au nombre de ceux-ci. L'action des nations occidentales, embourbées dans leurs crises migratoires, est aujourd'hui parfaitement inefficace. Les camps de réfugiés, tels qu'on les connaît aujourd'hui sont des zones en marges des civilisations, où les opportunités sont presque nulles et les possibilités d'intégration quasi-inexistantes. Dernière difficulté évoquée : les très nombreuses civilisations et ethnies qui composent la masse des réfugiés mondiaux. Une disparité qui fait craindre aux intéressés que ce nouvel état sera plus sujet aux guerres civiles que la plupart des nations.
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