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Affaire Lafarge : Damas avait mis au courant un diplomate français des agissements du cimentier

En janvier, l'ambassadeur français en Syrie reconnaissait finalement avoir eu des contacts avec le géant du ciment, mais avait nié que les discussions aient porté sur le maintien de son usine syrienne. Un nouveau témoignage écorne cette version.

Au terme d'un an de travail, l'émission Complément d'enquête diffusée ce 22 mars a recueilli un témoignage qui pourrait accabler un peu plus le ministère des Affaires étrangères. «Mes interlocuteurs syriens me disaient que directement ou indirectement, Lafarge finançait des mouvements terroristes», affirme ainsi le diplomate français Anis Nacrour, chef de la délégation diplomatique de l’Union européenne en Syrie. En clair : malgré la fermeture de l'ambassade française en mars 2012, Damas a pu mettre en garde la diplomatie française sur les liens troubles entre Lafarge et les groupes rebelles djihadistes.

Cette révélation fait suite à celle selon laquelle le cimentier Lafarge aurait maintenu son activité sur son site de Jalabiya, dans le nord de la Syrie – en versant via des intermédiaires des bakchichs aux djihadistes d'al-Nosra et du futur Daesh – à la demande du Quai d'Orsay. La diplomatie française pariait en effet au début du conflit syrien sur une chute rapide du président syrien. Dans ce contexte, Lafarge était vu comme un atout important pour positionner la France dans l'après Bachar el-Assad, avec de potentiels contrats juteux.

Tous les six mois, on allait voir le Quai d'Orsay. Le gouvernement français nous incitait fortement à rester

Dans une lettre adressée en janvier dernier aux juges en charge de l'affaire Lafarge, l'ancien ambassadeur de France en Syrie Eric Chevallier, après avoir nié catégoriquement, a finalement changé sa version et reconnu que Lafarge et le Quai d'Orsay étaient bien entrés en contact, «à l'été 2012». Mais l'ambassadeur niait avoir consacré la rencontre à la question du maintien ou non de Lafarge en Syrie. L'ancien directeur général adjoint de Lafarge Christian Herrault soutient toutefois de son côté que l'ambassadeur était «au courant du racket». «Tous les six mois, on allait voir le Quai d'Orsay. Le gouvernement français nous incit[ait] fortement à rester, c'[était] quand même le plus gros investissement français en Syrie», affirme-t-il.

Le témoignage d'Anis Nacrour vient donc étayer un peu plus cette thèse alors que les juges d'instruction en charge du dossier Lafarge concentrent leurs investigations sur ce que savait la diplomatie française des arrangements de Lafarge avec les rebelles djihadistes. L'association Sherpa, partie civile dans ce dossier, demande pour sa part l'audition de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères de 2012 à 2016.

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