C'est par une lettre adressée aux juges en date du 15 janvier 2018 et à laquelle le journal Libération a eu accès, que l'ancien ambassadeur de France en Syrie Eric Chevallier reconnaît pour la première fois l'existence d'un entretien, «à l’été 2012», entre la diplomatie française et le cimentier Lafarge.
«Je pensais que les responsables de Lafarge qui évoquaient l’existence d’entretiens se trompaient d’autant plus que les propos qui m’étaient attribués ne correspondaient en rien à ce que j’aurais pu dire», écrit le diplomate, à qui la mémoire est finalement revenue, dans son courrier cité par Libération.
Une position sensiblement différente de celle qu'il avait adoptée devant les juges le 9 janvier lors de sa confrontation avec l'ancien directeur général adjoint de Lafarge, Christian Herrault, lequel a été mis en examen pour financement d’une entreprise terroriste. A ce moment là, Eric Chevallier affirmait ne «pas avoir de souvenir de ces rencontres», arguant même qu'il n'en existait «pas de traces dans les archives». Christian Herrault maintenait pour sa part avoir rencontré à plusieurs reprises l'ambassadeur qui «était au courant du racket». Selon ses dires, Eric Chevallier aurait en outre conseillé au cimentier de rester dans le pays, assurant que les troubles n'allaient «pas durer».
S'il a finalement admis avoir rencontré les dirigeants du cimentier – soutenant qu'une «jeune femme du bureau du Moyen-Orient» au Quai d'Orsay lui avait indiqué avoir «souvenir de cette réunion» – l'ambassadeur conteste désormais la teneur des propos qui lui sont attribués. Dans son courrier, il a ainsi précisé «ne pas avoir conseillé le maintien de l’usine Lafarge en Syrie» lors de cet entretien dont il ne se souvenait pas.
«Aucun agent mis en cause par la procédure judiciaire», souligne le Quai d'Orsay
Joint par l'AFP le 28 février, le Quai d'Orsay a souligné que «ni le ministère de l’Europe et des affaires étrangères, ni aucun de ses agents [n'étaient] mis en cause par la procédure judiciaire en cours». «Nous communiquons à la justice les informations ou les documents qu’elle nous demande», a simplement commenté une porte-parole.
Les juges d'instruction ont récemment concentré leurs investigations sur ce que savait la diplomatie française et cherchent à établir si elle a pu pousser le cimentier à se maintenir en Syrie, comme l'affirment plusieurs de ses dirigeants de l'époque. L'association Sherpa, partie civile dans ce dossier, a demandé l'audition de Laurent Fabius, ministre des Affaires étrangères de 2012 à 2016.
Lafarge est suspecté d'avoir versé entre 2011 et 2015 plus de 12 millions d'euros à des groupes armés en Syrie, dont Daesh, pour continuer à faire tourner sa cimenterie de Jalabiya dans le nord du pays malgré la guerre.