International

Athlètes russes privés de JO sur la foi «d'indices» de dopage : quand la logique du CIO passe mal

Afin de justifier l'éviction d'athlètes russes des prochains JO d'hiver en Corée du Sud, le Comité international olympique se dispense de preuves et se contente d'«indices». Dans le monde sportif, des voix s'élèvent pour dénoncer un «scandale».

Après le sextuple champion du monde russe de short-track (patinage de vitesse sur piste courte), Viktor Ahn, les noms du médaillé de biathlon Anton Chipouline et de la patineuse vice-championne d'Europe Ksenia Stolbova, sont venus compléter la liste des athlètes russes exclus des JO de Pyeongchang. Aurte éliminé de marque, la star du ski de fond Sergueï Oustiougov a regretté sur Instagram la décision du CIO, se disant déçu par le mouvement olympique. «La vie ne s'arrête pas aux JO. Il y aura d'autres compétitions où nous vaincrons», a-t-il écrit.

Si le bannissement de ces athlètes, véritables stars dans leur discipline, a fait l'effet d'une douche froide en Russie, le Comité olympique russe (COR) n'a été qu'à moitié surpris. Le CIO avait déjà annoncé le 19 janvier dernier que son panel chargé de sélectionner les sportifs russes jugés «propres» avait provisoirement éliminé 111 noms sur les 500 proposés par les instances olympiques russes. Or qu'en est-il des preuves ?

L'absence de preuves contre les sportifs russes ne prouve pas qu'il n'y ait pas eu de dopage : la curieuse logique du CIO 

La présidente de ce panel, l'ex-ministre des Sports française Valérie Fourneyron, a tenté d'expliquer la logique de la décision. «En examinant soigneusement toutes les preuves à disposition, nous voulions être absolument certains qu'il n'y ait pas le moindre doute ni la moindre suspicion à propos de l'un des athlètes qui seront invités», a-t-elle argumenté, articulant dans la même phrase «preuves» et «suspicion».

Egalement présidente de l'Autorité indépendante de tests (ITA) chargée de réaliser les tests antidopage lors des prochains JO, Valérie Fourneyron a jouté, au risque d'embrouiller encore un peu plus le propos : «Si un athlète ne figure pas sur la liste des athlètes invités, cela ne signifie pas nécessairement qu'il s'est dopé.»

Ce 24 janvier, le président du CIO Thomas Bach s'est à son tour essayé à l'art de la double négation rhétorique. «Si tel athlète n'est pas sur la liste, alors le panel indépendant a de sérieux indices par différentes sources, par différents moyens [...] qui ne lui permettent pas de dire qu'il n'y a pas de soupçon sérieux», a-t-il argumenté, adoptant le même raisonnement circulaire.

Plusieurs voix s'élèvent en France contre les «donneurs de leçons»

En dépit des campagnes de dénigrement médiatique permanentes dont la Russie fait l'objet en Europe et aux Etats-Unis, le raisonnement tautologique du CIO a provoqué un tollé dans le monde des sports d'hiver français. 

Interrogé ce 24 janvier par RT France, le président de la Fédération française des sports de glace (FFSG) Didier Gailhaguet s'est dit gêné par les «donneurs de leçons nord-américains». «Je n'oublie pas quand même quelle est la patrie de Lance Armstrong [...] qui aujourd'hui s'acharne sur un seul pays», a-t-il souligné, faisant référence à l'importance du dopage dans l'athlétisme américain. «Il n'y a pas que des sportifs tricheurs en Russie», a-t-il ironisé, ajoutant : «Et ceux qui n'ont pas triché doivent avoir le droit de participer»

Des propos à la frontière du scandale

Dans un éditorial au vitriol publié ce même jour, le site Ski-nordique démonte la logique hasardeuse de Valérie Fourneyron. «Vous vous ferez votre propre opinion en lisant ces propos mais pour nous on est à la frontière du scandale», juge le site spécialisé. «Donc il suffit d'imaginer un léger doute sur les performances d'un athlète Russe pour l'empêcher de participer aux JO ?», s'interroge encore Ski-nordique, concluant : «Le CIO emprunte un drôle de chemin et il ne va pas gagner en crédibilité en agissant de la sorte. Mais si on empêche un Russe de participer, sur léger doute, pourquoi ne fait-on pas la même chose avec les athlètes des autres pays ?»

Punition collective... sans preuves

On trouve le même constat dans un interview publiée sur Sports.fr le 23 janvier , le champion de biathlon Simon Fourcade dénonce un «deux poids deux mesures» à l'encontre des athlètes russes. «Il faut que ce soit la même règle pour tout le monde. Un dopé se fait prendre, il est puni, c’est très bien. Mais il faut que ce soit la même règle pour tout le monde», déplore-t-il, poursuivant : «Il faut punir les gens concernés mais on ne peut pas pointer du doigt toute une nation.»

Sur fond de tensions géopolitiques, la Russie est continuellement accusée depuis juillet 2016, d'avoir mis en place un système de dopage d'Etat, sur la foi du controversé rapport de l'avocat canadien Richard McLaren publié juste avant l'ouverture des JO de Rio. Moscou a reconnu que des athlètes russes avaient pu avoir recours à des produits dopants individuellement, mais a toujours démenti l'existence d'un système de dopage institutionnalisé couvert par les autorités. En septembre 2017, l'Agence mondiale antidopage (AMA) déclarait qu'elle s'apprêtait à blanchir quelque 95 athlètes russes, faute de preuves.

Malgré la constance des accusations, ce 24 janvier, le porte-parole du Kremlin Dmitri Peskov a tenu à préserver le dialogue avec le CIO. «Le plus important, c'est de garder la tête froide, en premier lieu dans l'intérêt de nos sportifs qui, comme vous le savez, ont pris la décision dans la mesure du possible de participer à ces Jeux olympiques», a-t-il déclaré, ajoutant que les droits des athlètes russes seraient défendus. «Dans la mesure du possible», a-t-il ajouté.

Alexandre Keller

Lire aussi : JO 2018 : la Russie dénonce une décision politique destinée à l'«isoler»