S'exprimant peu de temps l'un après l'autre, Donald Trump et Emmanuel Macron ont chacun prononcé leur premier discours devant l'Assemblée générale des Nations unies ce 19 septembre. Très attendues, les allocutions respectives des deux chefs d'Etat ont frappé par leurs dissonances.
Multipliant les références aux menaces futures et invoquant volontiers la force de l'armée américaine, Donald Trump a donné à son discours des accents quasi bellicistes. A l'inverse, évoquant à de multiples reprises des témoignages d'individus confrontés à l'exil, aux catastrophes naturelles ou à la guerre, Emmanuel Macron a misé sur la compassion et l'émotion.
Mais c'est surtout leurs visions respectives des relations internationales qui pourraient sembler, de prime abord, en opposition frontale. Tandis que Donald Trump a clairement donné le ton, réaffirmant la volonté claire des Etats-Unis de se défendre coûte que coûte, Emmanuel Macron a appelé au dialogue et à la négociation, allant jusqu'à citer la Chine et la Russie comme partenaires. Le président français a d'ailleurs répété à l'envi le mot «multilatéralisme», semblant vouloir poser les jalons d'une doctrine contrastant avec ce qui, dans les propos du président américain, a pu ressembler à une défense de l'unilatéralisme. Mais derrière les apparences et les discours, le clivage est-il aussi net et la vision des deux hommes si différente ?
Le «multilatéralisme» de Macron : un concept creux ?
C'est le mot que le président français a souhaité que les commentateurs retiennent. Avec des accents rappelant parfois Barack Obama, susceptibles de plaire à une frange anti-Trump de l'opinion américaine, Emmanuel Macron a martelé sa volonté de «dialoguer avec tous et toutes». S’appuyant sur l'exemple de 1945, convoqué à de nombreuses reprises au cours de son allocution pour évoquer les succès d'un monde capable de surmonter les déchirures de la guerre, il a posé un objectif clair : «Notre défi contemporain, celui de notre génération est de savoir refonder le multilatéralisme.»
D'emblée, la référence historique semble pourtant porteuse d'une certaine contradiction. En effet, l'après-guerre n'est pas la période de notre histoire pendant laquelle le multilatéralisme semble avoir le plus fait florès. Marquée par la constitution de deux blocs ennemis et d'une diplomatie pour le moins parcourue de tensions, elle fait bien plutôt figure d'ère de divisions et d'escalade verbale tant que militaire. Contresens dans la bouche d'Emmanuel Macron, la référence aurait en revanche parfaitement pu seoir à Donald Trump, qui a évoqué «les Etats voyous» et «les Etats vertueux», dans une véritable réactualisation de l'«axe du mal» cher à George W. Bush.
Au-delà des mots, l'ode au multilatéralisme d'Emmanuel Macron pose des questions concrètes. N'y a-t-il pas, en effet, une contradiction à vanter un monde multipolaire tout en regrettant que les Etats aient «trop souvent laissé entendre des dissonances» ? A quoi sert un concert de voix si tous doivent chanter en chœur ? «Nous avons besoin d'un Conseil de sécurité qui puisse prendre des décisions efficaces et ne pas rester enfermé dans le droit de veto quand des crimes de masse sont organisés», a même été jusqu'à affirmer le président français – de quoi rappeler... les propos tenus quelques minutes plus tôt par Donald Trump, qui annonçait vouloir «réformer l'ONU» pour la rendre «plus efficace et plus performante».
Opposés sur la forme, unis sur le fond ?
Loin de représenter une doctrine pacifiste, le multilatéralisme d'Emmanuel Macron n'exclut pas le recours à guerre, comme il l'a précisé lors d'une conférence de presse tenue après son discours. Réciproquement, la vision des relations internationales défendue par Donald Trump, admettant de manière franche l'éventualité d'un conflit armé, n'était pas exempte d'égards et de prise en compte du dialogue diplomatique. «En Arabie saoudite, j'ai eu le grand honneur de m'adresser à plus de 50 chefs d'Etat de pays arabes ou musulmans», a par exemple souligné le président américain, soucieux de battre en brèche l'idée selon laquelle les Etats-Unis seraient isolés et en froid avec le monde musulman.
Un éloge du dialogue international n'excluant toutefois pas la possibilité d'une guerre est-il foncièrement moins belliciste qu'un discours admettant clairement la possibilité d'un conflit armé tout en appelant à la coopération? Certaines ressemblances entre la ligne d'Emmanuel Macron et celle de Donald Trump accroissent encore davantage le doute. Ainsi, alors que la Chine et la Russie appellent à un «double gel» des tensions dans la crise nord-coréenne, les présidents américains et français estiment à l'unisson que Pyongyang est responsable de l'escalade récente – «la Corée est à la poursuite effrénée de l'arme nucléaire» dans le lexique de Donald Trump, «Pyongyang a franchi un seuil majeur» dans celui d'Emmanuel Macron. Au sujet du Venezuela, difficile également de saisir la nuance entre les partitions jouées par le chef d'Etat français et par le chef d'Etat américain, si ce n'est que le premier parle de «tendances dictatoriales» quand l'autre parle de «dictature socialiste».
Demeurent bien sûr les différends, au premier chef desquels l'accord sur le climat, fustigé par Donald Trump mais au sujet duquel Emmanuel Macron a affirmé qu'il ne reculerait pas... tout en prenant soin de rappeler qu'il s'assurerait qu'il reste toujours une «porte ouverte» pour les Etats-Unis. Faut-il voir là une volonté du locataire de l'Elysée de ne pas assumer d'opposition frontale vis-à-vis de son homologue américain, sur l'un des rares sujets où Washington et Paris sont en désaccord ?
Pour trouver un début de réponse à cette question, il est utile de se pencher sur la manière dont Emmanuel Macron a abordé le second point de divergence profonde entre les deux chefs d'Etat : le traité de Vienne de 2015 sur la question du nucléaire iranien. De nombreux médias rapportent que le président français aurait déclaré : «Dénoncer l'accord sur le nucléaire iranien serait une grave erreur.»
A y regarder de plus près, les propos exacts d'Emmanuel Macron sont légèrement plus subtils : «Le dénoncer aujourd'hui, sans rien proposer d'autre, serait une lourde erreur». Y aurait-il, là aussi, une porte ouverte ?