Après «134 exhumations, et plusieurs centaines de témoignages, on peut prouver au moins 90 meurtres et il y en a au moins autant qu'on ne peut pas prouver», a asséné devant la presse Arne Schmidt le responsable de l'enquête dont les conclusions sur les crimes effroyables d'un infirmier tueur, Niels Högel, secouent l'Allemagne.
«Ce chiffre est exceptionnel, unique dans l'histoire de la République fédérale [d'Allemagne]», a ajouté Arne Schmidt, annonçant que la commission d'enquête spéciale «Kardio» en charge du dossier avait désormais achevé son travail.
«Ce que nous avons pu apprendre est effrayant, cela dépasse tout ce que l'on aurait pu imaginer», a renchéri Johann Kühme, chef de la police d'Oldenbourg, dans le nord de l'Allemagne.
Niels Högel a la plupart du temps tué des patients à l'aide de surdoses médicamenteuses injectées lorsqu'ils étaient en réanimation. Il n'avait pas de «préférences» d'âge ou de sexe pour ses victimes sinon qu'il «préférait les patients se trouvant dans un état très critique», a indiqué Arne Schmidt.
L'infirmier avait déjà été condamné en 2015 à la perpétuité pour deux meurtres et quatre tentatives s'étant soldées par la mort des patients. A ces six affaires, les enquêteurs ont indiqué le 28 août avoir ajouté 84 nouveaux cas, portant donc à 90 le total des décès imputés à Niels Högel, aujourd'hui âgé de 41 ans.
En juin 2016, lors d'un précédent bilan, les enquêteurs avaient établi la responsabilité du soignant dans 33 décès.
L'enquête avait été relancée en janvier 2014 car l'intéressé avait admis auprès d'un codétenu une cinquantaine d'homicides. Par la suite, il dira à un expert psychiatre avoir commis une trentaine de meurtres et une soixantaine de tentatives.
Cette affaire est cependant aussi celle des dysfonctionnements dans les deux cliniques où l'infirmier a pu opérer. Bien que les décès de patients avaient lieu le plus souvent alors que Niels Högel était de service, aucun mécanisme interne n'a donné l'alerte.
Selon les enquêteurs, «personne n'a voulu assumer ses responsabilités».
Les cliniques de Delmenhorst et d'Oldenbourg sont dès lors visées par une enquête pour déterminer les responsabilités car «les meurtres auraient pu être empêchés», a lâché le chef de la police d'Oldenbourg.
Tuer, puis ranimer les patients ... par ennui
L'affaire avait éclaté à l'origine en 2005, lorsque l'infirmier avait été surpris par une collègue en train de faire une piqûre non prescrite à un patient dans la clinique de Delmenhorst, ce qui lui avait valu en 2008 sa première condamnation pour tentative de meurtre.
Alertée par la médiatisation de ce premier cas, une femme avait exprimé des doutes quant au décès de sa mère. Plusieurs corps avaient été exhumés et les enquêteurs avaient trouvé des traces de substances suspectes chez cinq d'entre eux, concluant dans trois cas à des injections mortelles et dans les deux autres à une «cause possible» de la mort.
Niels Högel a pour sa part expliqué qu'il pratiquait ces injections pour amener les patients au seuil de la mort, afin de démontrer sa capacité à les ramener à la vie. Seul mobile invoqué : «l'ennui».
Toujours est-il qu'après 12 ans d'enquête, la liste définitive du nombre de victimes ne pourra sans doute jamais être établie. «Qui sait combien de crimes pourront encore être identifiés ?», a admis Thomas Sander, procureur à Oldenbourg.
«Le suspect n'arrive pas à se souvenir de chaque cas. Mais dans plus de 30 cas, il se souvenait des patients concrètement et de leur comportement», a précisé la chef du parquet de cette ville, Daniela Schiereck-Bohlemann.
Des affaires similaires ont fait les grands titres de la presse allemande ces dernières années, sans pour autant atteindre l'ampleur des agissements de Niels Högel.
Surnommé «l'Ange de la mort», un autre infirmier, Stephan Letter, a été condamné en 2006 à la prison à perpétuité pour avoir tué 28 malades. Un an plus tôt, une infirmière du prestigieux hôpital de la Charité, à Berlin, avait été condamnée à la même peine pour le meurtre par surdose de cinq patients.