C'est un séisme politique qui vient de se produire outre-Rhin, à trois mois des élections fédérales qui doivent permettre de désigner le nouveau chancelier allemand. Après un revirement inattendu d'Angela Merkel sur la question du mariage homosexuel, qui s'est dite ouverte à un débat après s'y être longtemps opposée, l'Union chrétienne-démocrate (CDU) de cette dernière vient d'être prise de court... et pourrait se retrouver en grande difficulté le 30 juin prochain, date à laquelle le Parlement devrait voter la légalisation du «mariage pour tous».
Tout a commencé en début de semaine. Le 26 juin, interrogée sur ce sujet, Angela Merkel s'est autorisée une petite sortie qui ne devait pas, a priori, avoir de conséquences. Rompant avec l'opposition de principe qui a toujours été celle de la droite conservatrice, qui était également la sienne, la chancelière a déclaré que les députés, si un vote sur la question du mariage homosexuel devait un jour avoir lieu, devraient voter «en conscience» et non en fonction d'une discipline partisane. Objectif de cette sortie : recentrer sa campagne alors que le Parti social-démocrate (SPD), membre de la coalition au pouvoir aux côtés de la CDU et principal rival de cette dernière, adopte un discours très à gauche depuis plusieurs mois, notamment sur les sujets sociétaux.
Le calcul était malheureux. A la peine dans les sondages, le SPD a vu dans cette déclaration d'Angela Merkel l'occasion de réussir un coup de poker inédit : prenant la chancelière au pied de la lettre, les députés sociaux-démocrates ont saisi l'occasion de vérifier la mise en application de ses propos. Ils sont ainsi parvenus à inscrire à l'ordre du jour du Parlement un vote sur le mariage gay dès le 30 juin prochain. Alors que la CDU pensait avoir clos tout débat majeur jusqu'aux élections du 24 septembre prochain, voilà le Parlement engagé dans une réforme hautement symbolique
Pire encore pour Angela Merkel : compte tenu du nombre de députés du SPD, des Verts et du parti de gauche antilibérale Die Linke, tous favorables au mariage homosexuel, la loi a de très fortes chances d'être adoptée. Les députés de la CDU auront pourtant tout fait pour empêcher la manœuvre d'aboutir, en s'opposant à l'inscription à l'ordre du jour de ce vote qui, à bien des égards, les plonge dans l'embarras. En effet, la droite devrait s'en trouver affaiblie, faute d'avoir su résister à cette offensive de la gauche, mais également divisée : plusieurs élus de la CDU se sont déjà déclarés en faveur d'une telle loi.
Merkel débordée sur sa droite et sur sa gauche pour les élections
Dans les faits, l'initiative du SPD signe le divorce entre ce dernier et la CDU. En place depuis 2013, la «grande coalition» entre le principal parti de droite et le principal parti de gauche aura donc survécu à de nombreuses crises au cours de cette mandature, notamment sur la question des flux migratoires, mais pas à la campagne électorale. En effet, l'adoption du mariage homosexuel ne figurait pas dans le contrat de coalition conclu après les précédentes élections entre conservateurs et sociaux-démocrates... et ne devait donc pas être abordée pendant ces quatre années.
Le SPD, en forgeant une alliance de fait avec les Verts et de Die Linke avant même les élections, envoie ainsi un signal fort à ses électeurs en faveur d'une éventuelle coalition «rouge-rouge-verte» pour le mois de septembre. Les deux partis, réputés plus à gauche que le SPD, faisaient en effet de l'adoption de cette loi un préalable à toute alliance. Cet événement pourrait par ailleurs dynamiser la campagne de la gauche : 73% des Allemands sont favorables au mariage homosexuel, selon un récent sondage de la chaîne ZDF.
L'imprudence d'Angela Merkel la rend également vulnérable aux critiques sur sa droite. «La CDU devrait se garder de détruire les dernières valeurs conservatrices», s'est indigné Peter Ramsauer, un responsable de l'allié bavarois (CSU) du parti de la chancelière, réputé pour incarner une ligne très conservatrice. Du côté de l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), on entend également tirer profit de cette opération. «En un coup de crayon, la chancelière a rayé un des derniers bastions du conservatisme à la CDU», a estimé Frauke Petry, la dirigeante du parti eurosceptique et anti-immigration Frauke Petry.
La CDU, après avoir subi une forte baisse dans les sondages au profit du SPD ces derniers mois, venait tout juste de retrouver un certain élan, passant de nouveau la barre des 40% d'intentions de vote dans les dernières enquêtes d'opinion. Au pouvoir depuis 2005, Angela Merkel brigue un quatrième mandat consécutif. Elle détient le record de longévité au pouvoir dans les pays occidentaux (11 ans et 7 mois).
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