S'il faut parfois faire table rase avant de débuter une nouvelle relation, c'est au moins chose faite. Lors de leur rencontre prévue à Versailles le 29 mai, Emmanuel Macron et Vladimir Poutine repartiront de zéro ou presque. François Hollande a en effet quitté l'Elysée en laissant à son successeur des dossiers sur lesquels la Russie et la France sont en profond désaccord, pour dire le moins. En témoigne la rupture finale d'octobre, alors que François Hollande, lors d'une interview accordée à une équipe de l'émission Quotidien, menaçait de ne pas rencontrer le président russe dont la visite à Paris était prévue à l'agenda.
En pleine bataille d'Alep en Syrie, le président français évoquait ainsi des crimes de guerre, pointant du doigt le président russe. Emboîtant d'ailleurs le pas à John Kerry, alors chef de la diplomatie américaine, qui avait appelé la veille à ouvrir une enquête contre la Russie et la Syrie. Résultat : Vladimir Poutine avait libéré son homologue français de sa pesante obligation, l'invitant à faire savoir quand il serait de nouveau disposé à le rencontrer. Un couac diplomatique et un camouflet qui achève une relation déjà houleuse.
Ukraine et Syrie, deux visions opposées
Dès l'accession au pouvoir de François Hollande, les relations entre les deux hommes sont en effet parties d'un mauvais pied. Lors de leur première rencontre, le 1er juin 2012, le courant ne passe pas, sur fond de crise syrienne déjà, alors que le conflit entrait seulement dans sa deuxième année. Paris tenait déjà Bachar el-Assad pour responsable du conflit, réclamant sa tête, tandis que Moscou dénonçait l'ingérence des Occidentaux dans le conflit syrien, comme lors du printemps arabe et de l'intervention en Libye en 2011.
Mais à ce moment-là, il ne s'agissait encore que d'une divergence de vues sur l'opportunité d'un «changement de régime» en Syrie, selon le terme qu'affectionne la diplomatie américaine. Les deux hommes ne se doutaient évidemment pas alors que les crises géopolitiques à venir allaient encore les éloigner l'un de l'autre.
A la situation en Syrie s'ajoute une autre pierre de discorde dès février 2014 : la révolution dite de l'Euromaïdan en Ukraine et le renversement du président Viktor Yanoukovitch, après sa volte-face concernant un accord d'association avec l'Union européenne. Les populations russophones de l'Est de l'Ukraine entrent alors en rébellion contre le nouveau pouvoir central de Kiev, hostile à la Russie, lequel lance des opérations militaires contre des rebelles présentés comme «pro-russes».
Alors que le pays s'enlise dans la guerre civile, les habitants de la Crimée se prononcent par référendum en mars 2014 pour un rattachement de la péninsule à la Fédération de Russie. Au grand dam des Occidentaux, pour lesquels les choses ne se passent pas comme prévu.
Les Mistral, point de non-retour
Heureusement, François Holllande ne donnera pas suite, du moins sur le terrain militaire. Car, économiquement parlant, c'est le début de la saga des sanctions économiques contre la Russie qui débute. Ce sont les chantiers navals DCNS de Saint-Nazaire, paradoxalement, qui font les premiers les frais du détricotage des relations économiques avec la Russie, l'un des partenaires privilégiés de grands groupes français mais aussi des agriculteurs, subitement privés de ce marché d'exportation.
Sous la pression de l'Allemagne et des Etats-Unis, François Hollande, après avoir longuement hésité, suspend en novembre 2014 la livraison du premier de ces deux porte-hélicoptères, dûment prévue par un contrat signé en 2011, invoquant la situation dans l'Est de l'Ukraine. En février 2015, François Hollande durcit encore le ton, évoquant rien de moins qu'une possible guerre.
Alignement de la France sur la diplomatie et les intérêts géopolitiques américains
Après l'épisode ukrainien, c'est à nouveau la Syrie qui empoisonne les relations entre les deux pays. En intervenant militairement le 30 septembre 2015, afin de soutenir le gouvernement de Damas face à Daesh et al-Nosra, ce dernier étant soutenu par les Occidentaux et la France, la Russie s'attire les foudres de la diplomatie française. Malgré le recul des djihadistes, la victoire de Palmyre en mars 2016, puis la reconquête d'Alep en décembre de la même année, la France, alignée sur les positions américaines, n'a de cesse de fustiger l'action russe, quitte à se contredire.
Ultime acte de la saga : la volte-face du ministre des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault en mars. Après avoir exigé avec constance le départ de Bachar el-Assad, la diplomatie française consent, bon gré mal gré, à s'aligner sur la position du nouveau président américain Donald Trump. Jean-Marc Ayrault concède que Bachar el-Assad n'est plus un obstacle à une solution politique au conflit en Syrie. «Ce n'est pas comme ça que la question se pose», déclare-t-il le 31 mars. Las ! Après l'incident chimique en Syrie de Khan Cheikhoun le 4 avril suivant, Donald Trump effectue un revirement à 180 degrés sur la question du maintien au pouvoir de Bachar el-Assad. Un ultime camouflet pour la diplomatie française de François Hollande qui, prise à contre-pied, publie un rapport controversé afin d'incriminer une dernière fois Damas.
Le dialogue ne tient donc plus que par un fil, et François Hollande et ses ministres des Affaires étrangères ont rendu illisible la politique de la France au Moyen-Orient. Plus grave, la diplomatie française n'est plus autonome dans cette région du monde. Certes membre de la coalition occidentale sous l'égide des Etats-Unis, la France n'est plus l'acteur majeur au Moyen-Orient qu'elle fut. Aussi, pour Emmanuel Macron, il s'agit de réintégrer le jeu diplomatique, tandis que la Russie en est devenue un acteur majeur et souverain.
Alexandre Keller