La France, ancienne puissance coloniale et membre du Conseil de sécurité des Nations unies, aurait pu jouer un rôle majeur en Syrie, mais elle n'apparaît que comme une force d'appoint de la coalition occidentale emmenée par les Etats-Unis. L'effacement de la France date peut-être de ce vendredi 30 août 2013. L'armée française, à la demande de Barack Obama, se tient prête à attaquer la Syrie. Mais le président américain, en raison des réticences de son allié britannique et de l'opinion publique, lâche François Hollande en rase campagne. Depuis, la diplomatie française au Moyen-Orient, ne parvient plus à faire entendre sa voix.
Six ans après le début des manifestations de Damas, le 15 mars 2011, dans le contexte des révolutions colorées du «Printemps arabe», le prochain président français aura la tâche immense de restaurer une influence perdue. Pourtant, les candidats à l'élection présidentielle peinent à dégager une ligne claire.
Emmanuel Macron, la «morale de l'action»
Le candidat d'En Marche ! s'inscrit en rupture avec la politique étrangère de François Hollande et de son gouvernement dont il a été le ministre de l'Economie. Pas question pour Emmanuel Macron de continuer à exiger obstinément le départ de Bachar el-Assad comme François Hollande. «Faire de la destitution de Bachar el-Assad un préalable à tout a été une erreur, notre principal problème, c'est Daesh», a-t-il déclaré lors de sa tournée au Liban fin janvier.
Se hâtant toutefois de préciser : «Mais, en même temps, je ne suis pas d'accord avec ceux qui voudraient pactiser avec lui. Bachar el-Assad est un dirigeant failli». Pour ceux qui s'interrogeraient sur la capacité à agir avec une telle approche, Emmanuel Macron a la réponse : «Je suis dans une morale de l'action [...] La France est là pour construire la paix, c'est bien plus compliqué et cela suppose de ne pas faire des petites phrases».
Marine Le Pen, Bachar, la «seule solution viable»
Dès 2015, Marine Le Pen prônait une «politique du réel» contre Daesh, appelant à «s'associer avec Bachar el-Assad». «Le problème, c'est que la France est le laquais des Américains en toute circonstance», dénonçait-elle quelques jours après le début de l'intervention de la Russie en Syrie. «La France aurait dû faire ce que la Russie est en train de faire, et aujourd'hui nous nous trouvons ridicules sur le plan diplomatique, à courir derrière les Etats-Unis, y compris quand les Etats-Unis changent d'avis».
La candidate frontiste n'a pas changé de ligne. En visite au Liban, Marine Le Pen a réaffirmé le 20 février sa conviction selon laquelle il n'est pas de solution au conflit en Syrie en dehors de Bachar el-Assad, la «seule solution viable», à telle enseigne qu'elle demande la réouverture de l'ambassade de France à Damas, fermée depuis mars 2012.
François Fillon : «Remettons notre pays au centre du jeu»
Pour François Fillon, le point de bascule est aussi la volte-face de Barack Obama en 2013 : «Nous avons été mis hors jeu sur la scène diplomatique. A l'été 2013, abandonnés en rase campagne par les Américains et les Britanniques». Dans une tribune publiée dans Le Monde le 24 novembre, François Fillon s'inquiète du risque d'une France hors jeu» au Moyen-Orient surtout après «la victoire de Donald Trump, d'un renforcement d'un binôme américano-russe».
Le candidat, à l'instar de Marine Le Pen, milite pour la réouverture d'une ambassade à Damas : «Je pense qu’on s’est trop précipité dans l’analyse de la crise syrienne. On a cru que c'était une révolution populaire, ce n'était pas que ça. On n’aurait pas dû fermer l’ambassade, on aurait dû laisser une représentation minimale», déclarait déjà François Fillon en 2015, avant de préciser : «Ce qui s’est passé en Libye, montre que les Occidentaux ne peuvent plus intervenir militairement sans risquer de générer un chaos qui donnent aux totalitaires le pouvoir».
Pour François Fillon, il faut donc renouer le dialogue avec la Russie et la Syrie, et éviter toute ingérence dans les affaires intérieures d'Etats souverains. Une position qui ne pouvait que convenir à Bachar el-Assad qui déclare le 8 janvier que les propos du candidat de la droite «sur les terroristes, sa priorité de combattre les terroristes [...] sont les bienvenus». Un soutien embarrassant pour François Fillon qui s'est empressé de rétropédaler, qualifiant le président syrien de «dictateur» et de «manipulateur».
Benoît Hamon, discuter avec Assad... pour l'écarter
En décembre 2016, lors de la bataille d'Alep, Benoît Hamon dénonçait le «plus grand drame humanitaire depuis des décennies» et proposait de se rendre sur place «comme François Mitterrand avait été à Sarajevo» lors de la guerre en Yougoslavie. Donc une posture assez gaullienne d'indépendance nationale sur la scène diplomatique. Pour autant, tout en dénonçant l'action de la Russie et en condamnant le «régime» syrien, Benoît Hamon prône la modération et l'usage du verbe. «Il n'y aura pas de changement de régime sans discuter avec le régime syrien», déclarait-il alors. En clair : si on le lui demande gentiment, le «régime» acceptera de se changer. D'ailleurs, poursuivait-il, «Il n'y aucune solution politique ou aucun avenir envisageable avec Bachar el-Assad pour la Syrie».
Jean-Luc Mélenchon, «c'est aux Syriens de décider»
Jean-Luc Mélenchon incendie depuis longtemps François Hollande et sa politique au Moyen-Orient. Alors que François Hollande accusait en octobre 2016 la Russie de crimes de guerre en Syrie, le candidat de la France condamnait une «attitude [...] absolument insupportable, dénonçant le traitement médiatique mainstream de la reconquête d'Alep par les forces armées syriennes et russes en décembre 2016. Une «propagande mortelle [qui] interdit tout débat, toute critique, tout point de vue non-aligné», martelait-il, ajoutant : «Pire, quiconque refuse de s'aligner est assigné à résidence politique chez l'adversaire».
En janvier 2017, lors de ses vœux à la presse, se définissant justement comme «candidat non-aligné, Jean-Luc Mélenchon dénonçait l'«atlantisme» de la France, réaffirmant son intention de voir la France quitter le commandement intégré de l'OTAN. Appelant à un règlement «politique» de la situation en Syrie, écartant ainsi tout projet de «changement de régime» depuis l'étranger, Jean-Luc Mélenchon rappelle que «c'est au peuple syrien de décider du destin».
Nicolas Dupont-Aignan, «Il faut que la France joue son rôle»
Le candidat de Debout la France dénonçait en décembre l'action «lamentable» de François Hollande ainsi qu'une «russophobie ahurissante en France». «Je ne suis pas un soutien de Poutine», se défendait-il sur iTélé (maintenant CNews), «je demande juste que la France ait une politique indépendante des Etats-Unis» en Syrie. Militant pour une France maîtresse de son destin, le candidat souverainiste déplore le déclassement de la France sur la scène internationale et en Syrie.
«On a soutenu des gens infréquentables qui sont des assassins et des djihadistes, et qui ont été nous massacrer en France», dénonçait-il, avant de conclure : «Alors au lieu d'attaquer Poutine en disant "le méchant", on devrait se poser la question de savoir pourquoi on lui a laissé le champ libre et pourquoi aujourd'hui [la Syrie] est un champ de ruines avec des drames humanitaires».
Alexandre Keller