Le 14 janvier 2011, le président tunisien Zine el-Abidine Ben Ali est contraint de fuir le pays pour l’Arabie saoudite et d'abandonner le pouvoir. Quatre semaines de manifestations monstre dans le pays l’ont conduit vers la sortie. La «révolution de jasmin», le premier des «printemps arabes», vient d’avoir lieu. De nombreux médias occidentaux diffusent une seule et même analyse : le peuple tunisien, aspirant à une réelle démocratie, a mis fin à un régime autoritaire. Le début d’une belle aventure.
Mais six ans plus tard, le rêve a pris des airs de cauchemar. En décembre 2015 un rapport du Soufan Group, conseiller en stratégie sécuritaire, estimait le nombre de Tunisiens ayant rejoint les rangs de Daesh à environ 6 000 : le plus gros contingent en provenance de l’étranger (hors Syrie et Irak). Le pays a été frappé par deux terribles attaques terroristes en 2015, et les auteurs des attaques de Nice et Berlin se sont avérés être des Tunisiens.
La Tunisie, incubateur à djihadistes ?
Les premières élections qui ont suivi la révolution tunisienne ont mis au pouvoir le parti islamiste Ennahdha. Le 23 octobre 2011, il s’impose largement, avec plus de 37% des voix. Ce résultat est vécu comme un véritable coup de tonnerre mais il n’est rien en comparaison de ce qui attend le pays. La progression du groupe Etat islamique sur une partie des territoires syrien et irakien va se faire avec un nombre important de soldats venus de Tunisie. Dès le 11 octobre 2014, le Washington Post mettait en ligne une carte de l’origine des combattants de l’Etat islamique. Le quotidien américain chiffrait alors le nombre de soldats du Califat en provenance de Tunisie à 3 000, loin devant l’Arabie Saoudite (2 500), la Jordanie (2 089), le Maroc (1 500) ou le Liban (890).
A l’intérieur même du pays, la lutte contre les djihadistes s’est montrée sanglante. Le Point estime que plus d’une centaine de membres des forces de l’ordre tunisiennes ont perdu la vie depuis 2011.
Avoir autant de combattants terroristes actifs à l’étranger est un grave problème pour la Tunisie qui devra faire face à leur retour au pays. En 2015, la Tunisie a déjà vécu deux terribles tragédies sur son sol. Le 18 mars, le musée du Bardo à Tunis, le plus célèbre du pays, a fait l’objet d’un attentat perpétré par deux individus qui a fait 22 morts et 45 blessés. Le 26 juin, un homme armé d'une kalachnikov a fait un carnage sur une plage de Sousse à 140 kilomètres de Tunis. 39 personnes de six nationalités différentes ont péri sous ses balles.
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Non seulement les deux attaques ont été revendiquées par Daesh, mais elle ont également été perpétrées par des Tunisiens revenus au pays après un passage en Libye. Le 19 mars 2015, le secrétaire d’Etat en charge de la sécurité de l’époque, Rafik Chelly, déclarait que Yassine Abidi et Hatem Khachnaoui, les deux auteurs de l’attentat du musée du Bardo, avaient «quitté clandestinement le pays en décembre 2014 pour la Libye où ils se sont formés au maniement des armes».
En savoir plus : Tunisie, l'auteur de l'attentat s'était entraîné en Libye
Quant à Saïf Rezgui, l’assaillant de Sousse, il aurait suivi un entraînement militaire près de Sabratha, une ville située dans le nord-ouest de la Libye avant de revenir dans son pays natal pour commettre son attentat.
Le chaos qui a suivi la chute de Mouammar Kadhafi en Libye a eu un impact sérieux sur le voisin tunisien. Régulièrement, les autorités locales doivent faire face à des assauts en provenance de l’autre côté de la frontière. Et souvent, ces derniers sont menés par des Tunisiens. Le 7 mars 2016, à l’aube, des dizaines de djihadistes ont attaqué une caserne de l'armée, un poste de police et un bâtiment de la garde nationale (gendarmerie) à Ben Guerdane, tout près de la Libye. Cette attaque d’une ampleur inédite qui a causé la mort de 12 membres des forces de l'ordre et de sept civils a été menée en majeure partie par des Tunisiens selon l’ancien chef du gouvernement Habib Essid.
Quand les terroristes tunisiens sévissent en Europe
Mais les djihadistes locaux frappent également à l’étranger. Le tueur au camion de Berlin, Anis Amri, est un ressortissant tunisien, à l’instar de son homologue de Nice.
Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, auteur de la tuerie du 14 juillet qui a coûté la vie à 86 personnes dans la cité azuréenne avait un profil particulier. Au moment de commettre son acte ignoble , celui qui était décrit par sa femme comme «pas croyant», mangeant du porc, et ne faisant pas la prière, n’était pas retourné en Tunisie depuis près de quatre ans au moment de commettre son attentat.
Ce profil atypique reste une exception. Anis Amri, suspect de l’attentat de Berlin qui a causé la mort de 12 personnes le 19 décembre est arrivé en Allemagne en juillet 2015 en provenance d’Italie. Selon des responsables américains cités par le New-York Times, le Tunisien est entré en communication «au moins une fois» avec Daesh via l’application Telegram. De quoi s'interroger sur les motivations qui l’ont poussé à se rendre en Allemagne.
Mais bien plus qu’aux pays étrangers, c’est à la Tunisie elle-même que ses citoyens djihadistes font courir le plus grand risque. Selon Le Point, environ 700 d’entre-eux seraient déjà revenus dans leur pays d’origine. Et leur sort est à l’origine de vifs débats. Alors que certains sont emprisonnés et que d’autres sont placés sous surveillance, le gouvernement et la population se demandent comment gérer la situation. La création d’un Guantanamo version tunisienne a même été évoquée. Si l’Etat islamique venait à perdre d’avantage de terrain sans parler d’une éventuelle défaite, la Tunisie risquerait de voir des centaines de combattants revenir sur leur terre natale.
Depuis l’attaque, revendiquée par Daesh, le 24 novembre 2015 contre un bus de la garde présidentielle à Tunis qui avait coûté la vie à 12 agents, le pays vit sous état d’urgence en continu. Le 18 octobre, le président Béji Caïd Essebsi annonçait la prolongation de cette mesure d’exception pour trois mois jusqu’à janvier 2017. Face au djihadisme, c’est tout le pays qui est dans l’urgence.