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Quand la presse britannique se donne pour mission de «stopper» Marine Le Pen

La presse au Royaume-Uni est très rétive aux opinions qui sortent du cadre traditionnel britannique... et donc aux idées Front national. Dernier scandale en date : un journaliste de la BBC a osé interviewer la «fasciste» Marine Le Pen.

Les aventures de Marine Le Pen outre-Manche sont jalonnées d'épisodes médiatiques symptomatiques des rapports qu'entretient la presse du Royaume-Uni avec les idées politiques qui sortent du cadre traditionnel auquel elle est habituée. 

Découverte par la majorité des journalistes anglais après l'élection présidentielle de 2012, la présidente du Front national semble incarner pour eux un condensé de ce qui leur est le plus étranger, voire le plus insupportable... et à plus forte raison depuis la victoire du Brexit et celle de Donald Trump, qu'ils avaient dans leur écrasante majorité combattus - et qu'elle avait soutenus.

C'est au tour d'Andrew Marr, journaliste à la BBC, de découvrir le consensus qui existe dans la presse britannique autour de Marine Le Pen. Le journaliste vedette de la BBC fait face à un vent de critiques pour avoir reçu celle-ci dimanche 13 novembre dans son émission politique. Pour défendre son choix, le rédacteur en chef de l'émission a été contraint de publier pas moins de sept tweets dans lesquels il énumère les raisons objectives qui font de Marine Le Pen une personnalité politique de premier plan, et qui justifient son invitation (scores électoraux conséquents, couverture médiatique en France...) «Que vous soyez mécontents des succès électoraux de Marine Le Pen est justifié, mais ce succès, comme la victoire choc de Trump, justifie cette interview», écrit-il prudemment.

Parmi ses confrères, notamment chez The Independent, on reproche à Andrew Marr de ne pas avoir «confronté Marine Le Pen à ses dérives xénophobes» pour combattre son «fascisme» et d'avoir préféré aborder des sujets tels que l'OTAN ou la Russie, jugés secondaires. «Si Andrew Marr veut stopper Marine Le Pen, il doit revoir son style d'interview», annonce le journal, qui semble prendre son parti d'une conception extrêmement militante du journalisme.

Au printemps dernier, Marine Le Pen avait déjà fait l'objet d'une campagne d'opinion relayée par plusieurs journaux et réseaux sociaux, visant à faire interdire sa venue sur le territoire britannique, en pleine campagne sur la question du Brexit. Y compris dans le camp des pro-Brexit, on se méfiait d'ailleurs de la présidente du Front national, dont les opinions économiques étaient mal perçues. 

Les réactions que suscite Marine Le Pen au Royaume-Uni peuvent sembler paradoxales : des libéraux décidés à la censurer, la gauche pro-européenne réclamant qu'on ferme la frontière spécialement pour elle... En réalité, elles révèlent le consensus hégémonique autour duquel se retrouvent la plus grande partie des acteurs médiatiques et politiques de Grande-Bretagne : celui de la vieille tradition du libéralisme avant tout contre le péril du nationalisme occidental.

De nombreuses voix ont estimé que recevoir la «fasciste» Marine Le Pen le 13 novembre, jour de commémoration des morts de la Grande guerre en Angleterre, insultait la mémoire des vétérans. Un rassemblement transpartisan était d'ailleurs organisé devant les studios de la BBC à Londres pendant l'entretien de Marine Le Pen, auquel s'est joint Jeremy Corbyn, chef du parti Labour. Les manifestants arboraient des pancartes portant les inscriptions «Non aux nazis!» ou «Plus jamais ça!». 

De son côté, Andrew Marr a tenu à se défendre de toute complaisance vis à vis du Front national. «Certains sont offensés et choqués. Je le comprends... Le Pen pourrait, sous certaines conditions, devenir la prochaine présidente de la France et je ne pense pas que le meilleur hommage qu'on puisse rendre aux soldats tombés soit de ne pas analyser le prochain grand défi qui attend la sécurité du monde occidental» a-t-il déclaré, comme pour s'excuser en montrant discrètement patte blanche à ses confrères.