Edward Snowden peut bien avoir acquis une notoriété internationale en dévoilant au monde entier l'existence de programmes de surveillance de masse, le fait est qu'on évoque rarement la façon dont il est devenu l'un des plus grands lanceurs d'alerte de l'histoire des Etats-Unis. C'est ce sur quoi le réalisateur du film «Snowden», Oliver Stone, propose de se pencher. Le fait que ce cinéaste se soit attaqué à ce sujet est assez peu surprenant si l'on a en tête ses films précédents. En effet, entre Platoon, JFK, W. ou encore son Autre histoire de l'Amérique, Oliver Stone a l'habitude de mettre l'Amérique devant ses erreurs, et il semble naturel qu'il soit l'auteur d'un film sur l'ancien collaborateur de la NSA et le monde de la cyber-surveillance.
L'oscarisé et controversé réalisateur s’est documenté pour ce film en allant à la rencontre de la meilleure source possible : Edward Snowden lui-même. «J'ai eu l'occasion de rendre visite à Snowden à Moscou. J’ai été invité par son avocat et j’ai fait sa connaissance», explique Oliver Stone dans son interview exclusive à RT.
L’une des choses les plus surprenantes est sa relation, sa relation avec sa petite amie, qui n'a jamais été vraiment mentionnée par la presse
Le courage du lanceur d'alerte
En réalisant neuf voyages en l'espace de deux ans, Oliver Stone et son co-scénariste ont obtenu de précieuses informations de première main quant au déroulement de toute cette affaire. C'est, selon lui, pourquoi son film est cohérent, pertinent et actuel : «C'est ce qui rend l’histoire très convaincante, et en même temps passionnante, parce que c’est ce qui se passe, dans un sens, en ce moment même dans le monde.»
En effet, même si les révélations sur les agissements de la NSA remontent à 2013, l'affaire est on ne peut plus actuelle. Aux Etats-Unis le débat sur Snowden continue de faire rage au Congrès, où le House Intelligence Committee a récemment écrit une lettre au président Barack Obama, lui demandant de ne pas pardonner le dénonciateur en exil. En parallèle, de nombreux groupes de défense des droits de l'homme se sont joints à une campagne pour faire pression sur l'administration Obama en faveur d'une grâce de Snowden. Face à cette situation, le lanceur d’alerte n'a quant à lui pas manqué d’ironiser sur son fil Twitter : «Le Congrès a passé deux ans à élaborer un rapport pour vous décourager d'aller voir ce film.»
Le film «montre sans doute pourquoi il l'a fait, sa motivation [...] Il est l'une des rares personnes qui en a parlé à pleine voix. Il y a seulement trois, quatre, cinq personnes qui ont parlé ouvertement de la NSA. Ils ont tous eu plus ou moins de difficultés, c'est donc une question très secrète pour le gouvernement», déclare le controversé réalisateur américain qui insiste sur le courage de son héros, estimant qu'«on ne peut jamais prédire le résultat de révélations de tels secrets».
Les menaces pesant sur son personnage principal étant toujours extrêmement sérieuses, Oliver Stone évoque un autre aspect de cet affaire qui l'a marqué pendant ce tournage : «L’une des choses les plus surprenantes est sa relation, sa relation avec sa petite amie, qui n'a jamais été vraiment mentionnée par la presse. Cela a été marginalisé par les médias de manière très dure.» Comprendre ce à quoi Snowden a renoncé est donc nécessaire pour comprendre la gravité de ce qu’il a vécu, selon le réalisateur qui évoque ici la petite amie de son héros, Lindsay Mills, qui a fini par le rejoindre dans son exil moscovite. «Il est important d'avoir en tête qu'il avait un amour dans sa vie, une relation avec quelqu'un qui était important pour lui», raconte-t-il, avant de remarquer : «Préserver cette relation était crucial, mais il a dû la sacrifier pour cette histoire qu'il voulait dévoiler au monde.»
Dans une cyberguerre, cela prend beaucoup de temps pour savoir qui a fait quoi et à qui – parfois des mois
Etat de surveillance, Etat de cyberguerre
Cependant, pour Oliver Stone et d'après ce qu'il a compris lors du processus de fabrication de son film, les problèmatiques auxquelles sont confrontés les Etats-Unis ne se limitent pas à celles de «l'Etat de surveillance» tels qu'exposés par Snowden dans les révélations concernant la NSA. D’après lui, cet Etat de surveillance, «c’est également un Etat de cyberguerre».
Oliver Stone, qui a vécu la guerre froide et a l'impression d'avoir entendu la même chose toute sa vie, n'est pas étonné de voir les Etats-Unis systématiquement blâmer la Russie pour tout, comme dans le cas du piratage des emails du Comité national démocrate (CND). Il souligne que ces accusations ne sont vraisemblablement pas induites par des faits concrets, au regard de la chronologie des événements : «Dans une cyberguerre, d’après ce que j'ai appris en travaillant sur le film "Snowden", cela prend beaucoup de temps pour savoir qui a fait quoi et à qui – parfois des mois.» Le problème, pour lui, est que personne n'a le temps ou la patience de chercher convenablement dans ce rythme frénétique qui est le notre. Il est, selon lui, plus facile de pointer du doigt l'ennemi du moment et de l'accuser de tous les maux.
Mais si Oliver Stone, en tant qu'Américain, ne croit pas que la Russie puisse vraiment être la fuite des documents du parti démocrate, alors qui suspecte-t-il ? En réalisateur habitué à chercher dans les méandres des affaires politiques et politiciennes, son regard se porte sur un probable inside job. «Considérez que, à l'origine de la fuite se trouvait un problème interne à la CND, et que quatre hauts fonctionnaires ont démissionné pour cette raison», affirme ainsi le réalisateur aux journalistes de RT. Il note en outre que la plupart des médias occidentaux avaient négligé les révélations contenues dans cette fuite, alors qu'elles mettaient en évidence le parti pris interne au sein des démocrates au cours de la primaire présidentielle contre la campagne du sénateur Bernie Sanders. «Certaines personnes ont fait remarquer qu’il était possible que ce soit [l'œuvre d'un membre du Comité]. Certainement, cela semble tout à fait possible», juge-t-il.
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