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Frappes américaines en Libye, une opération à durée illimitée et potentiellement illégale ?

Après l'annonce par le gouvernement libyen soutenu par l'ONU du lancement de frappes aériennes militaires sur les positions de Daesh en Libye, les médias américains s'inquiètent d'une escalade qui pourrait étendre le conflit à d'autres régions.

Alors que l'Italie a annoncé mettre à disposition des Etats-Unis sa base aérienne de Sigonella en Sicile afin que ces derniers puissent lancer leurs raids aériens vers la Libye, les américains s'engagent dans une opération dont on ne sait pas encore l'envergure qu'elle prendra.

Une intervention à durée illimitée

Le lundi 1er août, le chef du gouvernement libyen d'Union nationale (GNA) Fayez al-Sarraj a annoncé que les Etats-Unis avaient, à la demande de son gouvernement, commencé à mener des frappes aériennes contre des positions de l'Etat islamique dans son fief de Syrte.

Il précise que ces bombardements «interviennent dans un cadre limité dans le temps», soulignant qu'ils n'iront pas au-delà de «Syrte et sa banlieue». Pourtant, un membre de l'administration américaine a affirmé aux médias que le Pentagone se préparait à une campagne de longue durée.

Ainsi, l'attaché de presse du Pentagone Peter Cook a déclaré : «Nous voulons frapper l'Etat islamique partout où il sera et la Libye est l'un de ces endroits», ajoutant que les frappes aériennes «continueront aussi longtemps que [le gouvernement libyen] le souhaite» et que «à cet instant précis, il n'y a pas de date de fin prévue». 

Une guerre potentiellement illégale...

Lors de la conférence de presse du Pentagone le 1er août, lorsque Nancy Youssef du Daily Beast a demandé à Peter Cook si la guerre en Libye était «légale», ce dernier a répondu en citant un décret controversé du Congrès, vieux de 15 ans, autorisant l'utilisation de la force militaire, adopté dans le sillage des attentats du 11 septembre 2001.

Cette résolution, prénommée AUMF [Authorization for Use of Military Force Against Terrorists] autorise l'usage de la force militaire contre les organisations qui ont «prévu, autorisé, commis ou aidé les attaques terroristes du 11 septembre». D'abord invoquée par George Bush, puis par Barack Obama, la résolution a permis de justifier des actions militaires en Irak, au Yémen, en Somalie, en Syrie, et dans de nombreux autres pays.

L'administration a fait valoir que la résolution AUMF 2001 s'appliquait également à la guerre contre l'Etat islamique. Plusieurs membres du Congrès, y compris le colistier de Hillary Clinton, le sénateur Tim Kaine, ont fait valoir que l'administration devait demander l'autorisation du Congrès pour poursuivre sa guerre contre Daesh. Le sujet a fortement divisé les parlementaires américains.

Selon le magazine d'investigation en ligne The Intercept, connu notamment pour servir de plateforme à la présentation des documents sur la NSA révélés par Edward Snowden, les Etats-Unis auraient ignoré tous les obstacles juridiques possibles empêchant un bombardement de la Libye.

En effet, en 2011, Washington a lancé sa campagne en Libye même après que son autorisation a été rejetée par le Congrès. La Maison Blanche a même remis un rapport au Congrès faisant valoir que la campagne de bombardement américaine en Libye n'était pas officiellement une opération «hostile», mais «nécessaire» en vertu de la Loi sur les pouvoirs de guerre. Cette résolution étend la limite des conflits non autorisés à 180 jours au lieu de 60.

Tout en soulignant que les Etats-Unis étaient «prêts à effectuer plusieurs frappes aériennes», Peter Cook s'est retenu de confirmer les détails de l'opération. Interrogé sur sa connaissance d'un chiffre approximatif des victimes des frappes aériennes, l'attaché de presse du Pentagone a répondu : «Je ne sais pas.»

...aux conséquences désastreuses

Pour les experts, l'attitude de Washington conduit à une exacerbation de la violence dans toutes les régions du Moyen-Orient où les Etats-Unis sont impliqués dans des actions militaires.

Interrogée sur les conséquences de la politique américaine, l'activiste Medea Benjamin, fondatrice de l'organisation Code Pink qui milite contre l’interventionnisme américain, notamment dans les conflits au Moyen-Orient, a estimé dans une interview à RT que si l'administration Obama avait renoncé à abattre Mouammar Khadafi, la situation en Libye ne serait pas aussi chaotique aujourd'hui.

«Les Etats-Unis vont être aspirés dans des conflits de plus en plus nombreux. De plus en plus de civils seront tués et la violence continuera à croître, tandis que le peuple américain, qui ne veut pas être impliqué dans ce regain de violence, n'aura aucune chance de faire entendre sa voix car le gouvernement ne l'écoutera pas», a-t-elle déclaré.

En effet, avec la résolution AUMF 2001, les administrations de George Bush puis de Barack Obama ont, selon elle, tout simplement ignoré l'opinion publique :

«Selon la constitution américaine, c'est le Congrès qui décide d'une intervention militaire ou d'une déclaration de guerre. Seulement, depuis le 11 septembre, cette prérogative a été constamment et totalement négligée, autant par l'administration Bush que l'administration Obama, qui ont ignoré l'avis du Congrès. S'ils ne l'avaient pas fait, le peuple américain, qu'il soit démocrate ou républicain, aurait sans aucun doute montré qu'il ne veut pas être impliqué dans cette escalade de la violence dans les pays du Moyen-Orient.»

«Cela montre bien qu'en 15 ans, les Etats-Unis n'ont tiré aucune leçon de leur politique interventionniste. Washington doit comprendre qu'il ne peut pas intervenir dans la politique d'Etats étrangers. A chaque fois, cela n'a fait qu'empirer la situation», a-t-elle poursuivi.

Les médias américains déplorent eux aussi un enlisement et une extension du conflit

La presse américaine a décrit cette opération comme une escalade importante dans la guerre américaine contre Daesh, notamment une extension du conflit de la Syrie et l'Irak vers le territoire Libye.  

En effet, The Intercept rappelle que toutes les frappes ont eu lieu sans l'autorisation du Congrès et sans aucun débat, tandis que le New York Times ajoute que la campagne américaine en Libye s'est révélée «profondément inquiétante» car représentant la «progression significative d'une guerre qui pourrait facilement se propager à d'autres pays sur le continent».

Le Times a lui rappelé que l'intervention initiale des Etats-Unis en Libye en 2011, lorsque Washington a mené une campagne aérienne de l'OTAN qui a conduit au meurtre du dirigeant libyen Mouammar Kadhafi, avait entraîné la chute progressive du pays dans un climat de chaos politique général et l'apparition de milices islamistes partout en Libye. 

Le président américain Barack Obama avait d'ailleurs finalement qualifié plus tard son incapacité à prévoir le meurtre de Kadhafi comme sa «pire erreur».

De fait, les Etats-Unis avaient prévu depuis plusieurs mois une extension de la campagne militaire en Libye. En janvier 2016, le général Joseph Dunford avait déjà déclaré aux journalistes que les Etats-Unis se préparaient à lancer «une action militaire décisive contre Daesh» dans le pays.

Cinq ans après l'intervention occidentale en Libye de 2011, le pays est aujourd'hui dirigé par un gouvernement d'Union nationale instauré dans des conditions difficiles. Avant mars 2016, la Libye était déchirée entre deux gouvernements qui se disputaient le pouvoir : l'un, basé à Tripoli, la capitale, et n'étant pas reconnu par la communauté internationale, l'autre, basé dans l'Est du pays à Tobrouk et reconnu sur le plan international. Dans le même temps, l'Etat islamique contrôle également plusieurs territoires que lui disputent diverses milices, parmi lesquelles figure le groupe Fajr Libya.

Dans ce contexte difficile, le Conseil de sécurité de l'ONU avait voté une résolution en décembre 2015 autorisant les pays étrangers à frapper l'Etat islamique en Libye si les bombardements sont autorisées par le gouvernement local.

Les seules frappes américaines qui avaient visé Daesh jusqu'à présent s'étaient déroulées en février. Au cours de cette opération, Noureddine Chouchane – soupçonné d'être responsable de deux attaques en Tunisie, dans un musée et sur la plage de Sousse – avait été tué, ainsi que deux otages serbes détenus par les terroristes dans leur camp d'entraînement.

Le 23 juillet dernier, une coalition de plusieurs milices de la ville de Benghazi avait appelé à l'expulsion des forces étrangères du pays, exigeant l'expulsion des soldats français et de «tous les pays qui participent à la guerre» en Libye.