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Les médias occidentaux ignorent-ils la conspiration Google, Washington et Al Jazeera contre Assad ?

Les medias occidentaux ont ignoré une collaboration inattendue entre Washington, Google et l’«indépendante» Al Jazeera, qui vise à renverser le président syrien Bachar el-Assad.

La semaine dernière, le site WikiLeaks a levé le voile sur une correspondance échangée entre Jared Cohen, directeur de Google Ideas, et l’équipe de celle qui était alors la secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, de l’été 2012. Dans un courriel du 25 juillet 2012 aux responsables du département d’Etat, Jared Cohen présente l’«outil» qu’il s’apprête à lancer aux membres du premier cercle d’Hillary Clinton, leur demandant de garder un œil dessus. Il s’agit en fait d’une application développée par Google pour nuire aux troupes de Bachar el-Assad en montrant les défections.

La fuite qui a rendu ce projet public, qui pourrait être considéré comme un scandale monstrueux pour certains, a été difficile à repérer dans les médias. Depuis le 21 mars, jour où WikiLeaks a rendus publics une nouvelle portion de courriels d’Hilary Clinton, une recherche sur Google News ne fait ressortir qu’une trentaine de sources liées à cette histoire.

Seules deux d’entre elles, The Independent et le Daily Mail, figurent raisonnablement parmi les grands médias qui couvrent cette affaire. Cela indique que la signifie qu’il y a peu de chances qu’un lecteur moyen ait vent du travail d’équipe qui anime le département d’Etat, le géant Google et le groupe média arabe Al Jazeera.

Selon ce que Jared Cohen a écrit, il s’avère que l’application développée par Google sert à «suivre et établir une carte publique des défections en Syrie et de quelles composantes du gouvernement elles proviennent».

«Notre raisonnement s’appuie sur le fait que beaucoup de monde repèrent les atrocités mais qui personne ne représente visuellement ni ne fait de carte des défections, ce qui à notre avis est important pour encourager d’autres défections et donner confiance à l’opposition», a-t-il ajouté.

Google a aussi collaboré avec Al Jazeera, qui est devenu propriétaire principal de l’application, en raison de la difficulté à obtenir des informations sur ce qui se passait en Syrie. Au sein du département d’Etat, l’idée a été encensée et Jake Sullivan, conseiller d’Hillary Clinton, lui a envoyé un e-mail intitulé «Une idée très cool» sur sa boîte de courriels privée.

Depuis près d’une année maintenant, WikiLeaks diffuse des courriels impliquant directement l’ex-secrétaire d’Etat qui «pimentent» sa campagne pour la présidentielle. Ses opposants, aussi bien que les médias, ont saisi presque toutes les occasions de la critiquer sur ses «négligences» [notamment l’utilisation de sa boîte e-mail privée pour traiter des messages hautement confidentiels], mais curieusement, ils ne se sont pas saisis de cette affaire.

Mais les trois parties prenantes à cette collaboration ne se sont pas rapprochés par hasard non plus.

Fondé par le gouvernement qatari, la chaîne télévisée Al Jazeera se présente comme «la première chaîne d’information indépendante dans le monde arabe» et «l’un des réseaux d’information les plus influents du monde», dont le but principal est de donner «une voix alternative à une audience mondiale».

Le Qatar a largement soutenu les rebelles dans le conflit syrien, de même que Washington et les autres puissances anti-Assad qui ont même pensé à lancer une intervention militaire directe sur le sol syrien.

Et il s’avère que l’application permettant de repérer les transfuges syriens développée par Google a particulièrement convenu à Al Jazeera, permettant à la chaîne de remporter le prestigieux Online Media Award de la meilleure innovation technique.

Google félicite Al Jazeera

Contacté par RT, Google s’est refusé à tout commentaire sur cette affaire mais n’a pas hésité à mentionner fièrement la réussite d’Al Jazeera.

«Aucun commentaire, mais on peut souligner que ce projet de visualisation des données a très bien marché, Al Jazeera a gagné un prix de journalisme pour cela», a répondu le géant américain par e-mail.

Compte tenu de ces circonstances, il n’y aurait rien de mal à se demander quelle aurait été la réaction des médias occidentaux si la même collaboration avait eu lieu à travers l’océan, impliquant, disons… le gouvernement russe, un média dominant et un géant russe de l’internet.

Depuis sa création en 2005, RT a souvent été affublée de surnoms allant de «machine de propagande russe» à «porte-voix de la propagande» par des officiels et des politiciens occidentaux de premier plan. Quant à l’application qui a permis à Al Jazeera de remporter un prix de journalisme, elle est actuellement défunte pour des raisons qui n’ont pas été spécifiées.

Les médias occidentaux n’en ont aucune idée

Lionel, analyste du secteur des médias, personnalité de la radio et de la télévision new-yorkaise, a expliqué dans une interview à RT pourquoi ces révélations n’ont recueilli qu’une faible attention de la part des médias occidentaux.

«Je n’attends aucune réaction des médias occidentaux parce qu’ils n’ont rien lu à ce propos et n’en ont aucune idée», a déploré Lionel sur les ondes de RT. «Mais pouvez-vous imaginer ce qui se passerait si les mêmes faits concernaient des pays différents, des entreprises différentes dans le monde entier disposant de cette carte de référence. Cela provoquerait soit une très forte indignation, soit on se dirait qu’il s’agit d’une coopération innocente, un géant de la technologie indépendant… tout ça pour le bien commun de la liberté ou n’importe quoi d’autre. Cela dépend de votre point de vue», a estimé l’analyste.

S’agissant de la récompense obtenue par la chaîne Al Jazeera, Lionel estime que cela augure «des aspects très spectaculaires d’un nouvel état de guerre, comment les médias, les grandes entreprises et différentes plateformes fusionnent les unes avec les autres. On ne sait plus qui sont les militaires, qui est le gouvernement».

Il a supposé que la réticence du département d’Etat américain de diffuser les e-mails d’Hilary Clinton pourrait être expliqué par l’intention de dissimuler «le mélange d’une industrie présument privée avec le gouvernement».

«Nous sommes ici en présence d’un monde nouveau. Il y a le gouvernement, le Pentagone, le DAPRA et l’Agence pour les projets de recherche avancée de défense, l’industrie privée, toutes ces différentes plateformes. Nous avons l’introduction nouvelle de groupes de mercenaires et des équipes privées de contractants. [Mais] notre pays [les Etats-Unis] a une stricte barrière, le posse comitatus [principe politique selon lequel l'Armée n'a pas le droit d'intervenir dans les affaires du gouvernement civil] qui retire aux militaires la mise en application du droit privé», a fait remarquer Lionel, ajoutant : «Il y a toujours eu des séparations, des barrières et des alliances de juridictions mais dans ce nouveau monde, ces barrières sont éliminées, dissoutes.»

Comme Lionel l’indique, la collaboration entre Google et le gouvernement américain semble être «innocente», en tenant compte toutefois du biais en faveur de «ceux qu’on aime … et de l’information qui est propagée».

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