Peu après le déclenchement du conflit en Syrie, Daesh en est devenu un acteur majeur en Irak, et en Syrie en particulier. Décapitations filmées, meurtres de masse, esclavage, liens apparents avec les attaques de Paris et de Bruxelles : autant d’éléments associés au groupe terroriste et qui lui font une vaste publicité.
Diriger de manière viable une organisation dotée de telles capacités serait impossible sans un soutien logistique et financier venant de l’extérieur.
La Turquie, qui s’est activement engagée dans la guerre en Syrie depuis ses débuts, a nié à plusieurs reprises avoir aidé Daesh. Bien qu’Ankara insiste sur le fait que le groupe djihadiste constitue un ennemi juré, les faits observés sur le terrain livrent une histoire bien différente.
RT s’est entretenu avec plusieurs témoins impliqués dans les activités commerciales de Daesh et a accédé aux documents du groupe terroriste, qui fournissent un aperçu de comment et d'où les militants étrangers entrent en Syrie pour rejoindre l’organisation djihadiste.
Factures détaillées du trafic de pétrole
L’équipe de RT Documentary a réalisé la plus grande partie de son tournage dans la ville de Al-Chaddadeh, située au sud de la province syrienne d’Hassaké, en partie contrôlée il y a encore peu par Daesh. Suite à la libération de cette ville peuplée de quelque 10 000 personnes, RT a filmé les soldats kurdes se promenant autour de ce qui avait servi d'abri aux combattants du groupe terroriste et étudiant les documents abandonnés par ces derniers.
Certains des dossiers saisis sur place se sont avérés être des factures détaillées, conservées par Daesh pour évaluer les recettes quotidiennes de leurs champs pétroliers et de leurs raffineries, ainsi que les quantités extraites. Tous les documents portaient en haut le symbole de Daesh.
Ces dossiers montrent que «Daesh tenait des comptes très professionnels de leur commerce pétrolier», selon l’auteur du nouveau documentaire de RT, parlant sous couvert d’anonymat pour des raisons de sécurité.
Chaque facture comprend le nom du chauffeur, le type de véhicule, le poids du camion, rempli comme vide, ainsi que le prix convenu et un numéro de facture.
Une des factures découvertes, datant du 11 janvier 2016, indique par exemple que Daesh a extrait 1 925 barils de pétrole du champ pétrolier de Kabibah et les a vendus pour 38 342 dollars.
Le pétrole vers la Turquie, les djihadistes depuis la Turquie
RT a interrogé les habitants forcés à travailler dans l’industrie pétrolière de Daesh, leur demandant de décrire leur expérience dans la raffinerie contrôlée par les terroristes et dont le pétrole extrait était vendu.
Ils ont attesté que «le pétrole extrait était livré à une raffinerie de pétrole, où il était converti en essence, en gaz et autres produits pétroliers. Ensuite, le produit raffiné était vendu», explique l’auteur du documentaire de RT, ajoutant que «les intermédiaires de Raqqa et d’Alep arrivaient pour récupérer le pétrole et mentionnaient souvent la Turquie».
Une autre information révélant les liens entre Daesh et la Turquie a été fournie par un militant turc précédemment capturé par les Kurdes. Cette recrue de Daesh a indiqué, face à une caméra, que le groupe terroriste vendait en réalité le pétrole en Turquie.
«Sans même que lui soit posée directement la question, le combattant a admis que la raison pour laquelle il était tellement facile pour lui de traverser la frontière turque et de rejoindre Daesh, était que la Turquie aussi en profitait. Une fois interrogé, il a répondu que la Turquie tirait quelque chose de tout cela, comme du pétrole [par exemple].»
RT a aussi eu l’occasion de parler avec un soldat kurde qui a exhibé une collection de passeports recueillis sur des cadavres de combattants de Daesh. La vidéo de l’équipe documentaire montre les papiers de plusieurs djihadistes, venus de tous les coins du monde, y compris de pays comme le Bahreïn, la Libye, le Kazakhstan, la Russie, la Tunisie et la Turquie.
La plupart de ces combattants étrangers sont de tout évidence passés par la Turquie, tous les passeports ayant des timbres émis aux points de contrôle des frontières turques.
Un membre des Unités de protection du peuple (YPG) a fourni quelques photos provenant d’une clé USB et montrant apparemment de futurs militants du groupe. L’une d’elles représentait trois hommes devant l’obélisque de Théodose, le fameux monument d’Istanbul. Une autre photo montrait d'autres hommes, quelque part en Syrie, déjà armés et équipés.
Un des combattants de Daesh, interviewé par RT, a révélé qu’il n’y avait pas de gardes-frontières à surveiller la zone lors de sa traversée de la frontière turco-syrienne.
De la propagande islamiste imprimée à Istanbul
Le soutien logistique de la Turquie aux combattants extrémistes essayant de renverser le gouvernement du président syrien Bachar el-Assad - ou du moins sa non interférence avec les mouvements transfrontaliers - a été largement rapporté mais peu de choses ont été dites au sujet du soutien idéologique venu du territoire turc.
Parmi les documents découverts dans un hôpital dirigé par Daesh, l’équipe de RT a trouvé une brochure de propagande islamiste imprimée en arabe et intitulée «Comment mener une bataille parfaite contre le régime d’Assad», qui décrit les différentes façons de combattre le gouvernement syrien.
Curieusement, la brochure a été imprimée en Turquie, la couverture affichant ouvertement l’adresse postale et le numéro de téléphone de l’imprimerie située à Istanbul, accompagnée de contacts Facebook.
«Plusieurs personnes ont parlé des liens avec la Turquie. La Turquie est un voisin direct de Daesh. Si elle était disposée à fermer cette connexion entre [elle] et Daesh, l’organisation terroriste ne pourrait plus exister», a fait savoir l’auteur du documentaire, ajoutant que «si Daesh cessait d’être approvisionnée en armes, en nouvelles recrues, en nourriture et en autre aide depuis la Turquie, Daesh perdrait un gros sponsor.»
La Turquie tire profit de l’Etat islamique puisque le groupe terroriste lui fournit du pétrole bon marché et lutte contre ses deux ennemis : le gouvernement syrien et la population kurde. Voilà un avis commun et aux Kurdes et à leurs ennemis de l’organisation djihadiste. Les documents de Daesh obtenus par RT peuvent représenter des preuves supplémentaires révélant la stratégie douteuse du gouvernement du président turc Recep Tayyip Erdogan en Syrie.
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