Le conflit syrien ne se joue pas qu’à coups de mitrailleuses et lance-roquettes. Dans cette guerre, la plume peut s’avérer aussi tranchante qu’une bombe amène la mort. Depuis cinq ans, ce théâtre de guerre est au centre d’une autre bataille : celle de l’information. Mêlant terrorisme, rapports de force géopolitiques, factions diverses et intérêts communs, il est bien difficile de démêler le vrai du faux. Pourtant, la plupart des médias occidentaux semblent s’être tenus à un certain arc narratif depuis le début des combats. Bachar est un dictateur sanguinaire qui réprime une révolte, il n’hésite pas à gazer son peuple et les Russes l’aident dans sa funeste entreprise. RT France revient pour vous sur trois histoires un peu trop vite affirmées par les médias mainstream.
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Les rebelles modérés
Dès le 15 mars 2011 et les premières manifestations, une majorité de médias occidentaux dépeignent le conflit comme une révolte populaire réprimée dans le sang. Lorsque cette opposition se militarise et crée l’Armée syrienne libre (ASL), on parle de «rebelles modérés.» Un terme que l’on ne cessera plus d’entendre. Les articles, analyses et autres émissions mainstream nous parlent d'une large frange de l’opposition modérée qui se battrait à la fois contre «le régime» et les terroristes. Si personne ne nie l’existence de ces combattants, de nombreux spécialistes et faits montrent que leur influence est bien faible au regard des extrémistes qui sévissent dans le pays.
Dès 2012, un rapport des services secrets américains tirait la sonnette d’alarme. Selon le document rendu public en septembre dernier, l’insurrection syrienne était principalement menée par des forces extrémistes. L’Agence du Renseignement et de la Défense (DIA) dressait un bilan effroyable :
- une situation prenant clairement un tournant sectaire
- les salafistes, les Frères Musulmans et Al-Qaïda en pointe de la lutte contre le gouvernement
- Al-Qaïda en Irak (ancêtre de Daesh) en soutien de la rébellion depuis le début
De quoi changer la perception du conflit. Frédéric Pichon, spécialiste de la Syrie et chercheur à l’université de Tours produit depuis des années des analyses à contre-courant. Dans La Croix, il expliquait ainsi en 2013 : «Il y a longtemps que les jihadistes ont pris le pouvoir dans l’opposition syrienne armée. On fait semblant de découvrir que l’armée syrienne libre est faible, qu’elle n’existe pas. En fait, l’ASL a été une franchise commode. Elle était composée des mêmes combattants qui aujourd’hui sont dans le front islamique, financé par les Saoudiens, ou des combattants du Front al Nosra ou des groupes affiliés à Al-Qaida. Il y a toujours eu une grande porosité entre ces groupes de combattants.»
Des alertes qui n’ont pas empêché plusieurs pays dont la France et les Etats-Unis de livrer massivement des armes aux rebelles. Dans le livre Dans les coulisses de la diplomatie française, de Sarkozy à Hollande du journaliste Xavier Panon, on apprend que le président français a donné l’autorisation de fournir des armes à l’opposition dès la fin 2012; malgré l’embargo de l’Union européenne. Alain Juillet, ancien directeur des renseignements extérieurs n’a pas hésité à parler de «faillite des services de renseignement». «A l’époque, on entendait ‘on soutient les Syriens libres’. Mais quand on regarde sur le terrain ce que c’est que les Syriens libres, c’est rien du tout !» s’exclamait-il sur France Inter.
Une analyse qui rejoint celle du général Didier Castres, sous-chef opérations à l’état-major des armées (scops). En janvier dernier, devant la commission des affaires étrangères et de la défense du Sénat, il a lâché quelques chiffres. «Il existe en Syrie une constellation de combattants très divers de l’ordre de 100 000 personnes, dont la France estime que 80 000 d’entre eux appartiennent soit à des groupes terroristes désignés comme tels par les Nations unies, soit à des groupes salafistes extrémistes» a-t-il souligné.
Le 13 mai 2014, Frédéric Pichon publiait son livre Syrie : Pourquoi l’Occident s’est trompé. Il résumait les choses ainsi : «L’échec du positionnement occidental dans la crise syrienne est désormais patent. Il a consisté à faire croire en la fiction d’une Armée syrienne libre et à minorer les effectifs jihadistes. On découvre (...) qu’elle a toujours entretenu des liens étroits avec salafistes et jihadistes, qu’elle collabore même avec Al Qaïda, et que certaines des armes fournies par la France ont atterri entre de mauvaises mains.»
Bachar el-Assad gaze son peuple
Nous sommes le 21 août 2013. L’armée régulière et l’opposition sont engagées dans de vifs combats pour le contrôle de la banlieue de Damas. A la Goutha, une attaque à l’arme chimique fait des centaines de victimes. Pour l’opposition, le coupable est vite trouvé. Le président syrien vient de gazer son peuple. Très vite, de nombreux médias suivent et n’hésitent pas à relayer les accusations des chancelleries occidentales. Un collège d’experts de l’ONU se montre formel : les munitions ont été tirées depuis les positions du gouvernement. Bachar el-Assad a toujours nié.
Au fur et à mesure, de plus en plus d’éléments sont venus contredire cette version. Tout d’abord, en septembre 2013, le gouvernement russe affirme détenir des preuves que la responsabilité est à chercher du côté des rebelles. A la même époque, Bernard Squarcini, ancien chef du renseignement intérieur français, émet de sérieux doutes quant au rapport accusateur présenté par l'ex Premier ministre Jean-Marc Ayrault. Il le qualifie de «note de notes, pas conclusive et certainement pas suffisante».
Mais le coup le plus dur à la version officielle vient… des Etats-Unis. Quand Richard Lloyd, ancien inspecteur de l’ONU et spécialiste des missiles s’est mis à travailler avec Theodore Postol, un professeur du MIT, il en est ressorti un rapport de 23 pages. Basé sur des expertises balistiques, l’inspection de centaines de photos et des analyses physiques, il s’oppose aux précédents comptes-rendus pointant la responsabilité de Bachar el-Assad.
Les frappes russes visent l’opposition et pas les terroristes
En septembre 2015, Vladimir Poutine décide d’accéder à la demande du président syrien et d’apporter un soutien militaire à l’armée régulière. Le but est de lutter contre les groupes terroristes. Dès le début de l’opération, les Etats-Unis accusent les chasseurs russes de bombarder l’opposition plutôt que les extrémistes, notamment Daesh. Ils sont très vite suivis par les Européens et certains médias ne se privent pas, à nouveau, de relayer. Tout d’abord, nous avons vu précédemment que la porosité entre la nébuleuse qualifiée «d’opposition» et les groupes extrémistes est soulignée par de nombreux observateurs.
De plus, durant toute l’intervention, l’armée russe a effectué des centaines de sorties et détruit des milliers de cibles terroristes, images satellites à l’appui. Cette efficacité a même provoqué une bourde de France 2 qui, pour illustrer les succès de la coalition internationale dirigée par les Etats-Unis, a montré des images de… frappes russes.
Des dizaines de villes et villages auparavant aux mains des jihadistes ont été libérés par l’armée régulière et les troupes de Bachar el-Assad ont repris le dessus dans de nombreuses zones du territoire. Le tout en infligeant de multiples revers à Daesh et aux jihadistes du Front al-Nosra.
Le 14 mars, Vladimir Poutine a annoncé le retrait des troupes russes à partir du lendemain. Selon lui, «l’objectif est atteint».