«On ne pouvait pas s’attendre à un rapport objectif et impartial à l’issue d’une enquête extrêmement engagée et très opaque qui cherchait dès le début à en venir à la conclusion voulue», a estimé la porte-parole de la diplomatie russe Maria Zakharova suite à la publication du rapport, en soulignant que son «objectif évident depuis longtemps était de dénigrer la Russie et ses responsables».
La décision sur l’arrêt de l’enquête du coroner et du début de l’«enquête publique», qui permet de ne pas dévoiler les données de l’affaire n'est pas innocente, selon la responsable, qui a ajouté que ce tournant a «coïncidé opportunément avec les événements dans l'est de l’Ukraine».
«Tout [l'examen de l'affaire] se passait en secret. Cette forme originale d'enquête n'est "publique" et "ouverte" ni pour le côté russe, ni pour la société britannique», a remarqué Maria Zakharova.
Les actions de Londres créent un «précédent dangereux» d'utilisation des mécanismes légaux internes aux buts politiques, a en outre noté la porte-parole. Dans le même temps, elle a noté que Moscou regrette qu’une affaire «purement criminelle a été politisée et a ainsi jeté un froid sur les relations russo-britanniques».
De l’avis des principaux protagonistes de l’affaire, Andreï Lougovoï et Dmitri Kovtoun, deux anciens agents du FSB qui réfutent toute implication, le gouvernement britannique se sert de ce scandale à des fins politiques.
«Pour Londres, le "scandale du polonium" est devenu un bon moyen d’atteindre ses objectifs politiques, ce qui est clair depuis le début», a commenté Andreï Lougovoï à TASS.
Le deuxième personnage, Dmitri Kovtoun, en est allé encore plus loin, en mettant en doute la véracité des sources utilisées par les enquêteurs.
«Robert Owen n’a pas pu tirer d'autres conclusions en se basant sur des données falsifiées», a-t-il déclaré à l'agence Interfax.
Alors qu’on constate l’absence de preuves concrètes, le porte-parole du président russe Dmitri Peskov a qualifié l’enquête britannique de blague.
«Ca s'apparente [...] peut être à une blague. Visiblement, on peut relier ça à l'élégant sens de l’humour britannique», a-t-il annoncé aux journalistes, ironisant sur le rapport, «basé sur des informations confidentielles de services secrets non identifiés».
L'ambassadeur de la fédération de Russie au Royaume-Uni Alexandre Yakovenko, a qualifié de son côté les résultats de l’enquête d’injustifiés et de politisés, les allégations prétendant que le gouvernement russe est impliqué dans la mort de Litvinenko étant absolument inacceptables pour la Russie. «Cela sape les relations bilatérales et la confiance mutuelle», a-t-il noté.
D’après Yakovenko, il est problématique que l’enquête ait été secrète et non publique, la presse n’y ayant pas eu accès. «Nous n’avons pas pu participer à ces audiences. Nous n’avons pas même eu la possibilité d’étudier les documents du rapport», a-t-il regretté.
Poutine et la direction russe pointés du doigt
Le président de l’enquête, Robert Owen a estimé que Vladimir Poutine avait «probablement» approuvé une opération de meurtre de Litvinenko, fervent détracteur du Kremlin et allié du milliardaire russe en exil Boris Berezovski.
Les deux principaux suspects dans cette affaire, Andreï Lougovoï et Dmitri Kovtoun, «ont pu agir sur ordre du FSB», note le rapport de l’enquêteur, qui avance ensuite une implication possible des autorités russes dans l'assassinat. La coopération de Litvinenko avec les services spéciaux britanniques aurait pu être un facteur, souligne Robert Owen.
Robert Owen remarque toutefois qu’il a été impossible de lier l’origine du polonium à Moscou. «Aucune hypothèse, ni témoignage […] ne me permet de conclure que le polonium a été obtenu en Russie», note le document.
Ce rapport, issu d’une «enquête publique» ouverte officiellement en juillet 2014, souligne que ses conclusions sont fondées sur des opinions de témoins qui «ne pourraient être admises en tant que témoignages», car elles ne sont pas soumises aux règles strictes s’appliquant normalement aux documents judiciaires.
Suite à la publication du rapport, la ministre britannique de l’Intérieur Theresa May a annoncé que le Royaume-Uni entend convoquer l’ambassadeur russe pour lui exprimer son mécontentement sur le «manque de coopération» de la part de la Russie dans le cadre de l’enquête.
L’administration de David Cameron a annoncé qu’était examinée la possibilité de mesures supplémentaires contre la Russie, en qualifiant les conclusions des enquêteurs d’«extrêmement perturbantes».
Une affaire qui garde des parts d’ombre
L’ex-agent russe du FSB (Bureau national de sécurité) Alexandre Litvinenko est mort le 23 novembre 2006 après avoir été empoisonné au polonium-210, un isotope rare et indétectable.
Une enquête du coroner entamée immédiatement après sa mort a pourtant été fermée par le gouvernement britannique en 2014. Contrairement àcette enquête qui oblige les enquêteurs à mettre à disposition les témoignages disponibles à toutes les parties concernées, l’enquête publique qui l’a remplacée permet de tirer des conclusions uniquement à partir des données des services secrets sans les dévoiler pour autant.
Auparavant, le coroner responsable de l’enquête Robert Owen avait refusé d’examiner la piste accusant les responsables russes, vu que le gouvernement britannique avait classifié des preuves cruciales concernant l’affaire. En l’absence de preuves, toute décision en ce sens pourrait s’avérer «incomplète et potentiellement erronée», avait alors déclaré Robert Owen.