La tension est montée, ce 26 mars, aux abords des instances européennes à Bruxelles où défilent à nouveau des centaines de tracteurs. Les forces de l’ordre ont notamment fait usage de canons à eau et de gaz lacrymogène contre les agriculteurs qui ont déversé du lisier, des pneus, de la paille et allumé des feux dans les rues de la capitale belge.
Ceux-ci entendent, à l’occasion d’un Conseil des ministres européens de l'Agriculture, crier leur colère à l’encontre de la politique agricole de l’UE.
Abandon des jachères obligatoires, haies, contrôles... Les ministres ont approuvé une révision de la PAC détricotant ses règles environnementales et discutent de pistes pour doper les revenus des agriculteurs, alors que des centaines de tracteurs défilent à nouveau à Bruxelles.
Au grand dam des ONG écologistes, la Commission européenne a proposé mi-mars d'assouplir, voire de supprimer, une partie des critères «verts» que la nouvelle Politique agricole commune impose depuis 2023 aux exploitations.
Réclamées par les États face à la colère agricole qui balaye le continent depuis deux mois, ces révisions législatives ont été entérinées sans changement substantiel par un «comité spécial agriculture» réunissant des représentants des Vingt-Sept. Elles seront désormais examinées en urgence par les eurodéputés.
Des tracteurs devant le Parlement européen
Le sujet anime également ce 26 mars une réunion des ministres de l'Agriculture à Bruxelles, alors qu'au moins 300 tracteurs se pressent dans le quartier européen, avec klaxons, jets d'œufs et feux de foin, après de précédentes mobilisations en février.
«Nous ne les avons pas oubliés ! Aujourd'hui, on s'attaque à la PAC pour apporter plus de flexibilité, des réponses qui permettront d'augmenter leurs revenus», a déclaré le ministre belge David Clarinval, dont le pays assure la présidence tournante de l'UE.
Parmi les obligations vertes jugées impraticables par les organisations agricoles, Bruxelles a notamment proposé de supprimer complètement l'obligation de laisser au moins 4% des terres arables en jachères ou surfaces non productives (haies, bosquets, mares...).
L'obligation de rotation des cultures serait remplacée par une simple «diversification», le maintien de prairies permanentes qui serait considérablement assoupli, et en cas d'épisodes climatiques extrêmes, des dérogations seraient possibles pour éviter des pénalités.
Enfin, la Commission propose d'exempter de contrôles et de pénalités liés aux règles environnementales les exploitations de moins de dix hectares.
Autant de mesures approuvées à une majorité qualifiée d'État, selon une source diplomatique, malgré des réticences de l'Allemagne.
L'ire des ONG environnementales
«L'inquiétude, c'était de déclarer des choses qui ne se concrétisent pas dans les cours de ferme : il faut veiller à ce que ces propositions soient affinées et précisées», notamment sur les prairies, «mais ce paquet tel que proposé va dans la bonne direction», s'est félicité le ministre français Marc Fesneau.
Le Copa-Cogeca, organisation des syndicats agricoles majoritaires européens, avait également salué dans une lettre aux ministres «ces flexibilités accrues, prenant en compte les spécificités locales».
À l'inverse, dans une lettre commune, 16 ONG environnementales, dont WWF, Greenpeace ou ClientEarth, ont appelé le 25 mars la Commission à «retirer sa proposition législative», un «retour en arrière» susceptible de dégrader les écosystèmes et «ne faisant ainsi que saper les emplois que la PAC est censée soutenir à long terme».
Surtout, elles se disent «consternées» qu'une telle proposition législative ait été élaborée «en moins de trois semaines [...] sans analyse d'impact préalable ni consultations significatives des parties prenantes» à rebours des règles de l'UE.
Autre chantier : garantir des prix «équitables» aux agriculteurs dans la chaîne agroalimentaire face aux pressions des transformateurs et distributeurs.
La Commission européenne a dévoilé une «feuille de route» proposant la création d'un «observatoire» sur les prix de production et une évaluation des règles existantes sur les pratiques commerciales déloyales –sans nouvelle proposition législative pour l'heure.
La pomme de discorde des accords de libre-échange
«Faisant écho» aux règles françaises Egalim, «la Commission ouvre pour la première fois cette question des rémunérations au niveau européen. Il faut continuer à travailler, mais ne demandons pas de régler en 15 jours ce qui traîne depuis 20 ou 25 ans», a commenté Marc Fesneau.
Pas de quoi convaincre les agriculteurs du syndicat wallon Fugea et de la coordination paysanne alternative Via Campesina qui manifestent près du Conseil européen. Ils dénoncent des «propositions insuffisantes pour s'attaquer aux causes profondes» du malaise agricole et aux revendications sur les revenus.
Surtout, ils réclament «la fin des accords de libre-échange» jugés déloyaux. «Nous ne voyons aucune proposition pour résoudre ce problème des importations venant de pays tiers à des prix similaires ou inférieurs mais ne respectant pas nos normes élevées sur l'environnement, le bien-être animal», reconnaît le ministre letton Armands Krauze.
Autre sujet sensible : l'accord récent pour reconduire l'exemption de droits de douane à l'Ukraine tout en plafonnant certains produits agricoles. Il sera examiné le 27 mars au niveau des ambassadeurs des Vingt-Sept, certains États réclamant que ce plafonnement soit étendu au blé.