Jachères, haies, rotation des cultures, petites exploitations... Bruxelles a proposé le 15 mars des révisions législatives pour alléger drastiquement les règles environnementales de la Politique agricole commune (Pac), vivement contestées par le secteur à travers l'UE.
Au grand dam des ONG écologistes, la Commission européenne propose ainsi d'assouplir, voire de supprimer, une partie des stricts critères «verts» que la nouvelle Pac (2023-2027), entrée en vigueur l'an dernier, impose aux agriculteurs pour toucher des subsides européens.
États membres et eurodéputés devraient examiner ces propositions rapidement en vue de les entériner éventuellement d'ici fin avril. «L'objectif est d'alléger davantage la charge administrative, de donner aux agriculteurs comme aux États une plus grande flexibilité pour se conformer à certaines conditions, sans réduire le niveau global d'ambition environnementale», a affirmé la présidente de la Commission Ursula von der Leyen.
«Il sera possible d'appliquer certaines normes de manière plus compatible avec les réalités qu'affrontent les agriculteurs au quotidien sur le terrain», a-t-elle insisté, après un entretien avec le Premier ministre polonais Donald Tusk.
Les exploitations doivent actuellement laisser au moins 4% de leurs terres arables en jachères ou surfaces non-productives (haies, bosquets, mares...). Un critère devenu un épouvantail pour les agriculteurs manifestant dans l'UE.
Des mesures rétroactives
Après avoir accordé une suspension temporaire pour 2023 puis 2024, Bruxelles propose de supprimer complètement l'obligation dans la législation, ne laissant plus que l'interdiction de tailler les haies pendant les périodes de nidification.
«Il était vraiment difficile pour les agriculteurs d'accepter ces obligations de jachères, mais ils pourront toujours choisir de le faire sur une base volontaire» en échange de primes («éco-régimes»), a expliqué à l'AFP le commissaire à l'Agriculture, Janusz Wojciechowski.
«En pratique, les agriculteurs seraient encouragés à maintenir des zones non productives, mais sans craindre une perte de revenus s'ils ne peuvent pas le faire», a précisé la cheffe de la Commission.
Parmi les «conditionnalités» fustigées par les organisations agricoles qui les jugent impraticables face aux aléas climatiques : l'obligation de rotation des cultures, avec une culture différente de l'année précédente sur 35% des terres arables. Elle pourrait être remplacée par une simple «diversification».
Pour l'interdiction de sols nus durant les périodes sensibles, «l'idée serait que ces périodes ne soient pas rigides, que l'État puisse les définir de manière flexible en tenant compte des différences régionales», a souligné Janusz Wojciechowski.
«La plupart des changements entreraient en vigueur en 2025, mais en s'appliquant rétroactivement au 1er janvier 2024. Les agriculteurs ne seraient pas sanctionnés pour ne pas avoir respecté ces conditionnalités» cette année, a-t-il insisté.
Autre changement majeur : la Commission propose d'exempter des contrôles et pénalités liés aux conditions environnementales les exploitations de moins de 10 hectares — qui représentent 65% des bénéficiaires de la Pac, mais ne couvrent que 9,6% des surfaces. «En Pologne, elles représentent les trois quarts des exploitations», note Janusz Wojciechowski.
Les écologistes en colères
Enfin, les États disposeraient d'un délai jusqu'à fin 2025 pour traduire dans leurs plans nationaux l'actualisation au fil du temps des législations environnementales et climatiques européennes.
Et en cas d'épisodes climatiques extrêmes (sécheresse, inondations...) empêchant les agriculteurs de respecter les exigences de la Pac, les États seraient libres d'introduire des dérogations temporaires, réservées aux exploitants concernés afin qu'ils n'encourent pas de pénalité.
«Il est scandaleux de vouloir procéder à des affaiblissements législatifs de la Pac dans le cadre d'une procédure accélérée sans étude d'impact, sous couvert de simplification administrative», compromettant «la nécessaire adaptation au changement climatique», a réagi l'eurodéputé Vert Martin Haüsling.
Pour leur part, les ONG environnementales dénoncent un démantèlement «électoraliste» de l'architecture verte de la Pac, sans garantie de désamorcer le malaise agricole. «Abandonner aveuglément les mesures environnementales n'apaisera pas les agriculteurs qui souffrent de prix injustes et de l'urgence climatique, avec des besoins de viabilité à long terme», fait valoir Anu Suono du WWF.
Des inquiétudes balayées par Bruxelles: «cette évolution n'affaiblira en rien l'aspect environnemental, on obtient plus de résultats avec des encouragements et des primes qu'avec des contraintes» et pénalités, estime Janusz Wojciechowski, appelant à «prendre les agriculteurs au sérieux».
Le ministre français de l'Agriculture Marc Fesneau s'est «réjoui des avancées obtenues», se disant aussi «très vigilant pour que les premières réponses apportées par la Commission européenne soient mises en œuvre rapidement».
Parallèlement, la Commission a présenté le 15 mars des pistes pour mieux «protéger les agriculteurs des pratiques déloyales» dans l'agro-alimentaire, avant des échanges avec les acteurs du secteur et avec les États pour élaborer des actions «à court et moyen termes».
Depuis plusieurs mois, les agriculteurs de nombreux États membres manifestent leur colère contre les normes imposées par Bruxelles et la concurrence extra-européenne à laquelle ils sont soumis via des accords de libre-échanges. Une concurrence venue, en particulier, d’Ukraine depuis que l’UE a ouvert au printemps 2022 ses frontières aux produits agricoles ukrainiens afin de soutenir le pays en guerre.