La proposition était «devenue un symbole de polarisation», a déploré Ursula von der Leyen devant le Parlement européen à Strasbourg (France), alors que les agriculteurs en colère dénoncent depuis des semaines des normes écologiques jugées excessives.
Élément-clé du «Pacte vert», le texte proposé en juin 2022 par Bruxelles prévoyait des objectifs contraignants pour réduire de moitié d'ici 2030 l'utilisation et les risques des produits phytosanitaires chimiques dans l'UE par rapport à la période 2015-2017.
Ce texte «a été rejeté par le Parlement, il n'y a plus de progrès au Conseil [États membres]. Je proposerai au collège [des commissaires] de retirer cette proposition», a-t-elle déclaré.
«Le sujet reste d'actualité» mais «pour avancer, davantage de dialogue et une approche différente sont nécessaires. La Commission pourrait faire une nouvelle proposition beaucoup plus mûre, avec la participation des parties prenantes», a ajouté Ursula von der Leyen, sans aucune indication de calendrier.
«Un pur texte idéologique»
«Les agriculteurs ont besoin de raisons économiques pour adopter des mesures de protection de la nature, peut-être ne leur avons-nous pas exposé ces raisons de manière convaincante», a-t-elle déclaré.
Le Copa-Cogeca, représentant des organisations agricoles majoritaires au niveau européen, avait fustigé «un pur texte idéologique, mal calibré, irréaliste et non financé».
Le Premier ministre belge Alexander De Croo, dont le pays occupe la présidence tournante de l'UE, a salué l'annonce du retrait. «Il est crucial de garder les agriculteurs de notre côté pour un avenir plus durable de l'agriculture, le dialogue continue», a-t-il estimé.
Le Parlement européen avait rejeté la proposition sur les pesticides fin novembre, après des amendements d'élus PPE (droite) la vidant largement de sa substance pour éviter au monde agricole des contraintes considérées comme intenables.
Un blocage rarissime qui contribuait à l'enterrer de facto à quelques mois des élections européennes de juin 2024, alors que le «Pacte vert» de l'UE fait figure d'épouvantail.
Théoriquement, les ministres de l'Agriculture pouvaient continuer à débattre du texte, mais en pratique les négociations entre les Vingt-Sept étaient durablement enlisées, plusieurs États s'alarmant de l'impact sur les rendements et la souveraineté alimentaire.
«Ce texte prévoyait des diminutions [de production], ce n'était pas sensé. Grâce à notre travail notamment, cette proposition est balayée», a réagi le chef du PPE, l'élu allemand Manfred Weber, du même camp qu'Ursula von der Leyen. «Nous resterons le parti des agriculteurs, nous sommes à vos côtés», a-t-il ajouté, la droite en faisant un argument-clé des élections.
Le retrait intervient à quelques heures de l'annonce d'une feuille de route où Bruxelles recommandera un objectif climatique pour 2040.
Von der Leyen dit prendre conscience du malaise agricole
Face aux défilés de tracteurs et blocages d'autoroutes dans l'UE, Bruxelles multiplie les gestes envers les agriculteurs. La Commission a proposé la semaine dernière d'accorder une dérogation partielle aux obligations de jachères et de limiter les importations agricoles ukrainiennes (mais non de les suspendre), tout en promettant une «simplification» de la politique agricole commune (PAC).
Elle a également reconnu que les conditions n'étaient «pas réunies» pour conclure l'accord commercial avec les pays sud-américains du Mercosur, ligne rouge des agriculteurs et de certains États.
Déjà l'an dernier, Bruxelles avait renoncé à proposer un texte sur l'étiquetage nutritionnel qui crispait le secteur agro-alimentaire.
Ursula von der Leyen a de nouveau assuré ce 6 février prendre conscience du malaise agricole : face aux effets du changement climatique et du conflit ukrainien, «nombre d'agriculteurs se sentent acculés [...] Ils méritent d'être écoutés.»
«Il faut aller au-delà d'un débat polarisé, instaurer la confiance [...] Nous devons éviter de nous rejeter mutuellement la faute, et chercher ensemble des solutions aux problèmes», a martelé celle qui pourrait candidater à sa propre succession après les élections de juin.