«Le média RT, soutenu par le Kremlin, est facilement accessible à l'intérieur du bâtiment de la Commission européenne», s’est lamenté le 3 février Radio Free Europe (RFE). Un comble, selon le média américain, alors que les médias russes «ont été suspendus par celle-ci», et une preuve donc de «la faiblesse du bloc [européen]».
«Deux ans après l'interdiction de l'UE, RT et Spoutnik russes sont toujours accessibles dans toute l'UE», a de surcroît titré le média, financé par le Congrès américain et dont la vocation est de s'adresser aux pays d’Europe. Le tout avec une illustration choc : la page d'accueil de RT International ouverte dans une salle de conférence du bâtiment Berlaymont, où siège la Commission.
À n'en pas douter, RFE regrette la résilience des médias russes. «Sans utiliser de VPN ou d'autres outils de contournement, un correspondant du service Balkans de RFE/RL a pu accéder aux sites web et aux services de streaming de RT et de Sputnik depuis les bâtiments de l'organe exécutif de l'UE», ajoute-t-il ainsi, catastrophé.
Une telle «facilité d’accès» serait ainsi «un coup dur porté aux efforts occidentaux sans précédent visant à punir la Russie pour son invasion et à lutter contre sa désinformation», écrit RFE.
Sur X (ex-Twitter), le média qualifiait même les mesures de l'UE d'«aboiement», la Commission se voyant ainsi accusée d'avoir échoué, en deux ans, à «mordre» les sites russes.
Censurés sans avoir violé la moindre règle de diffusion
Fin février 2022, dans la foulée du déclenchement de l’opération russe en Ukraine, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen avait en effet annoncé que les médias publics RT et Sputnik «et leurs filiales» allaient être «interdits» de diffusion au sein de l’Union, afin d’«interdire leur désinformation toxique et nuisible en Europe».
Quelques jours plus tard, le Conseil de l’Union européenne concrétisait cette suspension «d’urgence», accusant RT et Sputnik de faire la «propagande» des autorités russes. Une première, dans la mesure où ces médias n’avaient pas violé la moindre règle de diffusion.
Fin janvier 2023, RT France était contraint à la fermeture à la suite du gel de ses comptes bancaires par les autorités françaises, lui-même conséquence du neuvième paquet de sanctions ayant visé la maison-mère de RT, Ano TV Novosti. Le média est toutefois devenu RT en français en mai 2023, ses activités ayant été rapatriées à Moscou.
Radio Free Europe cherche la faille
La Commission se défend pourtant d’être inefficace : le média américain a interrogé Johannes Bahrke, porte-parole chargé de l'économie numérique, de la recherche et de l'innovation, qui a rappelé que «toutes les licences, autorisations et accords de distribution pertinents» de RT avaient été suspendus.
À la recherche de la faille, RFE/RL a poursuivi son enquête en interrogeant une spécialiste de l’Open Society de George Soros, Tinatin Cervadze. «Les autorités nationales désignent les organismes gouvernementaux ou les agences responsables de la mise en œuvre et de l'application des sanctions de l'UE, en fonction du secteur couvert par la désignation spécifique des sanctions », a-t-elle déclaré. «La mise en œuvre des sanctions est laissée à la volonté des fournisseurs de services internet», a-t-elle ajouté.
RFE a donc «demandé des explications à certains prestataires de services en Belgique, où sont basées les institutions européennes, ainsi qu'au ministère belge des Télécommunications». Sans pour autant obtenir l'effet recherché. «Deux semaines se sont écoulées sans réponse», ont-ils indiqué.
La Commission européenne ne lâche pourtant pas l’affaire : le 23 janvier, le chef de la diplomatie de l'UE, Josep Borrell, déclarait qu'il était nécessaire de concurrencer RT. «L’autre jour, à l’aéroport du Caire, il y avait partout des publicités de RT en arabe. RT s’est installé dans le monde arabe et se présente comme une bonne source d’information en arabe. Nous devons faire la même chose : parler et adopter la même langue», faisait-il remarquer.
«La Russie accompagne sa guerre illégale contre le peuple ukrainien par une guerre de l'information et une propagande de guerre agressive à l'échelle mondiale», a déclaré le même jour son porte-parole, Peter Stano, en présentant le rapport sur «l’ingérence étrangère et la désinformation».