Pour organiser son reportage, le journaliste a longuement discuté, six mois au total, sur Skype avec les représentants Daesh avant qu’ils n’acceptent de le laisser réaliser son reportage parmi eux.
Finalement, les djihadistes lui ont officiellement garanti sa sécurité. «C’était dans leur intérêt de tenir leur promesse et que je revienne vivant, et je suis revenu en vie», a-t-il dit.
Ayant passé plusieurs jours avec les combattants de Daesh, ayant eu de longues discussions avec eux et observé leur vie quotidienne, le journaliste allemand a précisé : «Ils s’en fichent que nous les qualifiions de terroristes».
Les rues de Raqqa sont pleines de gens, de voitures et d’entreprises qui fonctionnent «normalement», la vie semble tout à fait normale, mais Jurgen Todenhofer a toutefois prévenu qu’il fallait garder à l’esprit que les islamistes avaient tué ou expulsé tous les chiites et tous les chrétiens de la région. Les seuls gens que l’on peut rencontrer là-bas sont des sunnites.
Les djihadistes ne sont pas intéressés à mettre en œuvre la charia contre des citoyens lambda. Selon le journaliste occidental, ils préfèrent s’acharner sur des gens importants. Une crainte est omniprésente : le faux-pas. «Si vous faites une erreur, vous pouvez être tués», a souligné Jurgen Todenhofer, expliquant que des gens avaient écopé de peines de prison pour avoir rendu visite à une amie ou avoir utilisé des somnifères, médicament désormais interdit dans le califat.
«Les gens savent que c’est dangereux», a poursuivi le journaliste, mais là-bas, un citoyen lambda s’en fiche car «sa vie n’était pas beaucoup plus amusante sous les autorités chiites qu’ils n’appréciaient pas non plus».
On ne croise pas beaucoup de femmes dans les rues de Raqqa et lorsque c’est le cas, elles ont revêtu un voile intégral. Seules quelques vielles femmes ne doivent pas porter une voile, rapporte le journaliste en ajoutant «parce que si elles ne sont plus aussi belles et jolies qu’avant, elles peuvent montrer leur visage».
Il affirme avoir rencontré sur le territoire de Daesh des gens venus du Caucase russe, de l’Allemagne, de la France ou du Royaume-Uni. Des musulmans qui passaient inaperçus dans leur pays d’origine, qui n’y étaient pas acceptés et qui étaient considérés comme des citoyens de seconde zone. «On leur dit que dans l’Etat islamique, ils vont livrer une bataille historique, le combat ultime entre le Bien et le Mal», confie-t-il avant d’ajouter que «ces jeunes gens qui étaient totalement ignorés dans leur pays se sentent très important ici. Pour la première fois de leur vie, quelqu’un leur dit qu’ils sont importants».
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On dit aussi à ces jeunes qu’ils seront de vraies vedettes et des héros, qu’ils auront une kalachnikov pour lutter contre les Américains etc. «Ils ont joué à tous ces jeux vidéo qui mettent en vedette des tueurs. Et ils croient que c’est ce qui va leur arriver», confie-t-il encore.
Pour les jeunes européens qui rejoignent Daesh, c’est une voie sans issue. Il n’y pas de chemin de retour parce que ceux qui veulent rentrer chez eux sont considérés comme des traîtres. Et c’est parfois dramatique pour certains d’entre eux qui ont compris qu’ils tuaient en fait des musulmans innocents.
«Ils comprennent que l’histoire qu’on leur a racontée est complètement fausse. Ils ne vivent pas dans le luxe. Au lieu de cela, ils ont une vie très simple, ils ne mangent pas tous les jours, ne boivent même pas forcément chaque jour, il fait froid dans les appartements où ils vivent et ils doivent tuer des musulmans. Ce n’est donc pas ce qu’on leur avait promis», raconte Jurgen Todenhofer.
Le journaliste estime que les islamistes tuent des otages comme les journalistes pour semer la peur et inciter Washington à envoyer des troupes au sol, sur le champ de bataille syrien, parce qu’ils veulent lutter contre les Américains.
«Je pense qu’ils voudraient également lutter contre les troupes russes au sol, parce qu’ils veulent être des héros et lutter contre les champions, alors que les musulmans qu’ils ont tués ne l’étaient pas», a-t-il expliqué.
Bien évidemment, les combattants de Daesh qu’il a rencontrés ne lui ont pas tout dit mais Juergen Todenhofer a toutefois eu la nette impression que Daesh recevait de l’argent et des armes de la part des monarchies du Golfe, comme l’Arabie saoudite. D’autres armes sont également achetées au marché noir, sur lequel on trouve aussi du matériel fabriqué en Europe. «Ils m’ont dit que s’ils ne s’emparent pas des armes de leurs ennemis, ils peuvent les acheter, parce que tout a son prix. Ils obtiennent la plupart de leurs munitions auprès de l’Armée syrienne libre», fait remarquer le journaliste.
La tactique militaire de Daesh est celle de la guérilla, ce qui complique passablement les bombardements de leurs cibles car ils se dispersent quand le danger approche.
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«Je ne peux pas juger l’armée syrienne, mais je peux juger les armés occidentales. La marine américaine et les forces spéciales n’ont aucune chance dans une lutte contre des guérillas, parce que ces combattants sont prêts à mourir alors que ce n’est pas le cas des marines américains», précise Jurgen Todenhofer.
D’après le journaliste, les choses que l’Occident doit faire pour mettre Daesh en difficultés sont assez simples : cesser ses livraisons d’armes, de munitions, interrompre les flux financiers venus des pétromonarchies du Golfe et fermer la frontière turco-syrienne, utilisée par les nouveaux combattants pour rejoindre la Syrie
Une autre chose qui a aussi son importance, c’est de promouvoir la réconciliation entre les chiites et les sunnites en Irak, en Syrie et en Turquie, parce que Daesh trouve du soutien parmi les gens qui restent insatisfaits de la situation actuelle.