Décision majeure dans l'enquête française sur le patrimoine de Riad Salamé : une juge a délivré le 15 mai un mandat d'arrêt international visant le gouverneur de la Banque du Liban (BDL).
Riad Salamé, qui réfute les accusations le visant, était convoqué le 15 mai au tribunal judiciaire de Paris pour un interrogatoire en vue d'une éventuelle mise en examen mais ne s'y est pas présenté, selon son avocat Maître Pierre-Olivier Sur et une source proche du dossier. L’avocat a assuré à l'AFP que la convocation avait été adressée «moins de dix jours avant la date prévue de l'interrogatoire. Les textes n'ont pas été respectés. La convocation est donc caduque. C'est imparable».
Une source judiciaire libanaise avait indiqué le 15 mai que des policiers libanais s'étaient rendus pendant quatre jours consécutifs la semaine précédente au siège de la Banque du Liban (BDL) pour délivrer la convocation à Riad Salamé, sans succès.
Une «violation flagrante de la loi», dénonce Riad Salamé
Après ce refus de comparaître, la magistrate française en charge du dossier avait deux options : reconvoquer Riad Salamé ou délivrer un mandat d'arrêt international. Selon la source proche du dossier, elle a choisi la seconde, mettant en cause formellement le 16 mai Riad Salamé pour la première fois dans l'information judiciaire ouverte depuis juillet 2021.
Riad Salamé «a été personnellement informé de cette convocation, ainsi que son avocat, depuis plusieurs semaines», a assuré une source judiciaire française. «Son refus de comparaître a donc conduit le juge d’instruction à délivrer un mandat d’arrêt», une mesure «nécessaire et proportionnée», a ajouté cette source.
«Je vais me battre contre cette [...] violation flagrante de la loi», a répliqué Riad Salamé dans un communiqué diffusé en arabe, tandis que son avocat a promis de «saisir les juridictions compétentes», ce qui pourrait passer par une contestation formelle du mandat devant la cour d'appel de Paris.
120 millions d'euros d'avoirs gelés
A la tête de la BDL depuis 1993, Riad Salamé, 72 ans, est accusé dans son pays de corruption. On lui reproche également d'être l'un des principaux responsables de la grave crise financière qui frappe le Liban depuis l'automne 2019. Dans ce dossier objet d'enquêtes dans plusieurs pays européens, il est soupçonné de s'être constitué un riche patrimoine immobilier et bancaire en Europe via un montage financier complexe et un détournement massif de fonds publics libanais.
Depuis le début de l'année, des juges européens, dont la juge française, se sont rendus à trois reprises au Liban pour l'interroger, ainsi que ses proches. Au moins deux mises en examen ont été prononcées en France : celles d'Anna K., une proche de Riad Salamé soupçonnée d'être l'un de ses prête-noms en France, et de Marwan Kheireddine, ex-ministre et actuel patron de la banque privée al-Mawarid.
En mars 2022, la France, l'Allemagne et le Luxembourg avaient gelé 120 millions d'euros d'avoirs libanais soupçonnés d'appartenir à Riad Salamé. La cour d'appel de Paris doit examiner le 23 mai la validité des saisies réalisées par la France. Les conséquences concrètes du mandat d'arrêt sont difficiles à déterminer dans l'immédiat. Il pourrait limiter les déplacements à l'étranger du banquier libanais.
«Un jour ou l'autre, il sera arrêté»
«Le Liban n'a pas encore été notifié du mandat d'arrêt international», a indiqué le 16 mai à l'AFP une source judiciaire libanaise sous couvert d'anonymat. «Le Liban n'extrade pas ses ressortissants vers d'autres pays. Lorsqu'un mandat d'arrêt international est émis via une notice rouge Interpol, la justice libanaise demande à la France de lui transmettre le dossier complet sur lequel se fonde la décision des juges français», selon la même source. «Si l'accusation est jugée valable, la justice peut le poursuivre au Liban», a-t-on encore assuré.
L'intermédiaire franco-libanais Ziad Takieddine a été détenu pendant un an au pays du Cèdre après avoir été visé par un mandat d'arrêt international émis par la France suite à sa condamnation dans l'affaire Karachi. Après sa fuite rocambolesque du Japon, l'ex-PDG de Renault-Nissan Carlos Ghosn a lui trouvé refuge au Liban et a été légalement contraint d'y rester, le Liban lui ayant interdit de voyager en raison des poursuites japonaises.
Maître William Bourdon, avocat de l'association Sherpa et du Collectif des victimes des pratiques frauduleuses et criminelles au Liban (CPVCL), parties civiles, a dénoncé «le cynisme et le refus d'assumer toute responsabilité» de Riad Salamé. «Un jour ou l'autre, il sera arrêté», estime l'avocat, fondateur de Sherpa.