Une dizaine de jours après avoir publié un article imputant à Washington une responsabilité directe dans les explosions de septembre 2022 des gazoducs Nord Stream 1 et 2 en mer Baltique, le journaliste Seymour Hersh a, le 17 février, accordé au média d'investigation Consortium News un entretien où il appuie de nouveau le scénario d'un sabotage américain.
Une opération nécessitant une compartimentation «très sophistiquée»
Il y insiste notamment sur une planification opérationnelle ayant, selon lui, uniquement impliqué un cercle très restreint au-delà du président américain. «La Maison Blanche n'avait aucune idée de qui était le groupe» qui allait se charger de faire exploser le gazoduc, assure en effet Seymour Hersh, en référence à une chaîne de commande qu'il décrit comme faisant l'objet d'une compartimentation «très sophistiquée».
Pour rappel, le célèbre journaliste américain avait déjà assuré, dans sa publication initiale, avoir obtenu des éléments en ce sens d'«une source ayant une connaissance directe de la planification opérationnelle [du sabotage]».
«Les plongeurs [ayant mené l'opération] n'appartenaient [pas] au Commandement des opérations spéciales des Etats-Unis, dont les opérations secrètes doivent faire l'objet d'un rapport au Congrès et d'un briefing préalable aux dirigeants du Sénat et de la Chambre des représentants [...]. L'administration Biden faisait tout son possible pour éviter les fuites alors que la planification se déroulait à la fin de 2021 et dans les premiers mois de 2022», a notamment écrit Seymour Hersh dans son article paru le 8 février.
C'est une opération américaine depuis le début
Selon le journaliste américain, au sein de l'industrie concernée, il ne fait guère de doute sur le commanditaire du présumé sabotage de Nord Stream : «Dans le secteur des pipelines, [on] sait ce qui s'est passé mais [personne] ne le dira parce que [chacun] veut continuer à signer des contrats», estime-t-il en effet lors de l'entretien qu'il a accordé à Consortium news. Par ailleurs, Seymour Hersh explique ne pas être en mesure d'appuyer la thèse d'une implication significative du Royaume-Uni dans les explosions des gazoducs, comme avancé par la Défense russe en octobre 2022 : «Ils peuvent avoir donné quelques conseils ou contacts et des techniques mais c'est une opération américaine depuis le début.»
Nuland-Blinken-Sullivan : un trio qui alimente le bellicisme antirusse de Washington ?
«Ils ont établi [...] un programme qu'ils n'auraient jamais dû autoriser», déplore également le journaliste d'investigation au cours de sa dernière interview, alors qu'il évoque la réalisation d'études confidentielles «sur la façon de faire sauter un pipeline».
«Quand le plan était [enclenché], ils n'ont pas pu s'empêcher d'en parler, ce qui est fou et stupide», ajoute-t-il, vraisemblablement en référence aux allusions implicites à ce sujet, début 2022, du président Joseph Biden ou encore de la haute responsable américaine Victoria Nuland.
Durant le même entretien, Seymour Hersh appuie en outre l'idée que l'actuelle sous-secrétaire d'Etat américaine pour les Affaires politiques formerait, avec Antony Blinken (actuel secrétaire d'Etat) et Jake Sullivan (conseiller à la sécurité nationale auprès de Biden), un trio particulièrement belliciste depuis plusieurs années sur le dossier ukrainien.
Victoria Nuland est personnellement impliquée de longue date dans l'élaboration de l'agenda américain en Ukraine. Elle a notamment occupé le poste de secrétaire chargée de l'Europe au département d'Etat à partir de 2013, soit un an en amont de la mise en place, avec le soutien actif et revendiqué des Etats-Unis, d'un très controversé gouvernement ukrainien de transition, dans la foulée de l'Euromaïdan (nom donné aux manifestations pro-européennes qui ont secoué la capitale ukrainienne entre 2013 et 2014 et ont débouché sur un coup d'Etat). Au cours de cette période, la haute responsable américaine s'était notamment illustrée par des propos peu amicaux à l'endroit de l'Union européenne, avec une formule devenue célèbre : «On emmerde l'UE», qu'elle avait lâchée lors d'un échange avec Geoffrey Pyatt, alors ambassadeur américain à Kiev.