Le Kremlin a qualifié le 19 décembre d'«inacceptable» le plafonnement du prix de gros du gaz, approuvé par les ministres de l'Energie des Etats membres de l'UE réunis à Bruxelles. «C'est une violation du processus de marché pour la formation des prix», a déclaré le porte-parole du Kremlin, Dmitri Peskov, cité par les agences de presse russes. «Toute référence à un plafonnement [des prix] est inacceptable», a-t-il insisté.
Les Etats membres de l'UE ont approuvé le 19 décembre, après d'âpres négociations, un mécanisme temporaire pour plafonner les prix de gros du gaz, un accord qui permet de débloquer d'autres mesures d'urgence pour réaliser des achats groupés de gaz et doper les énergies renouvelables.
Ce dispositif, adopté par les ministres européens de l'Energie, a pour ambition de bloquer les transactions sur les marchés de gros du gaz au-delà d'un certain seuil, et empêcher ainsi selon eux toute envolée des cours qui se répercuterait in fine sur les entreprises et les consommateurs.
«Plafond dynamique» ou cauchemar technocratique ?
Le mécanisme entrera en vigueur le 15 février, pour au moins un an. Il s'enclenchera automatiquement dès que le prix du contrat mensuel (pour livraison le mois suivant) atteindra 180 euros/mégawatt-heure pendant trois jours consécutifs sur le TTF (Title Transfer Facility), l'indice de prix qui sert de référence à une grande partie des transactions de gaz en Europe.
Mais à la stricte condition qu'il soit également supérieur d'au moins 35 euros au prix international moyen du gaz naturel liquéfié (GNL), afin d'éviter que les fournisseurs de GNL délaissent l'Europe au profit de clients asiatiques payant leur gaz à des prix plus attractifs.
Le contrat mensuel s'échangeait le 19 décembre autour de 110 euros/MWh, après s'être brièvement envolé à quelque 300 euros en août. Une fois le mécanisme enclenché, les transactions sur les contrats à terme sur le TTF, mais aussi sur les autres plateformes d'échanges, seront plafonnées pendant 20 jours, mais pas les échanges de gré-à-gré (hors des marchés régulés).
Ces contrats ne pourraient alors plus s'échanger au-delà d'un «plafond dynamique», correspondant au prix international de référence du GNL (calculé sur un panier de cours mondiaux) additionné de 35 euros un plafond variable, permettant de s'assurer que l'Europe reste un marché attractif pour les fournisseurs par rapport aux prix proposés en Asie.
Le mécanisme sera automatiquement désactivé dès lors que le prix du contrat mensuel sur le TTF descendra sous 180 euros, ou si l'UE déclare l'état d'urgence pour l'approvisionnement de l'UE. Et le mécanisme dans son ensemble pourra être suspendu par la Commission en cas de «risques pour l'offre de gaz, la stabilité financière ou les flux de gaz au sein de l'UE».
Les désaccords entre Etats surmontés ?
La Commission avait initialement proposé de plafonner certains contrats gaziers dès lors qu'ils dépassaient 275 euros/MWh pendant deux semaines consécutives, entre autres conditions - des facteurs jamais réunis, même au plus fort de l'envolée en août dernier.
Nous disposons de suffisamment d'instruments pour utiliser ce mécanisme de manière intelligente et ciblée
Plusieurs Etats (Espagne, Pologne, Grèce, Italie...) avaient réclamé l'assouplissement des conditions d'activation. Au contraire, rétifs à toute intervention, d'autres Etats (Allemagne, Pays-Bas...) exigeaient des «garde-fous» drastiques pour éviter de menacer les approvisionnements.
Alors que les Vingt-Sept, soucieux d'afficher un front uni, recherchaient l'unanimité, Berlin a finalement approuvé le compromis : «Nous disposons de suffisamment d'instruments pour utiliser ce mécanisme de manière intelligente et ciblée», a jugé le ministre allemand Robert Habeck.
L'accord trouvé permet d'entériner deux autres textes d'urgence, qui faisaient déjà l'objet d'un accord entre les Etats mais dont l'adoption formelle restait suspendue à une décision sur le plafonnement du prix du gaz.
Le premier prévoit des achats groupés de gaz, auxquels participeraient des consortiums d'entreprises, afin d'obtenir ensemble de meilleurs prix, et un mécanisme de solidarité assurant automatiquement l'approvisionnement énergétique des pays menacés de pénuries.
Le second simplifie pour un an les procédures d'autorisations pour les infrastructures d'énergies renouvelables (solaire et pompes à chaleur).
La Hongrie fait de la résistance
La Hongrie a déclaré rejeter un plafonnement «nuisible, dangereux et totalement inutile», selon son ministre des affaires étrangères Peter Szijjarto. Budapest a signé en 2021 un accord de 15 ans avec Moscou pour recevoir 4,5 milliards de mètres cubes de gaz par an, via la Bulgarie et la Serbie.
Une réforme structurelle du marché européen de l'électricité, qui vise à le découpler des prix du gaz, sera par ailleurs proposée début 2023 par la Commission.
En septembre 2022, au Forum économique oriental, Vladimir Poutine avait prévenu : «Nous ne fournirons rien du tout, ni gaz, ni pétrole, ni charbon, si cela va à l'encontre de nos intérêts économiques.» Le dirigeant russe avait reproché l’Occident de ne pas respecter les contrats d’énergie.