Le décès de Mahsa Amini, jeune femme iranienne qui a perdu la vie à la suite de son arrestation, met le feu aux poudres en Iran. Une vague de manifestations déferle sur tout le pays, alors que l'Occident multiplie les condamnations à l'encontre des autorités.
Cette jeune kurde d'une vingtaine d'années avait ainsi été placée en détention par la police des mœurs pour non respect des codes vestimentaires – le port du foulard est obligatoire pour les femmes en Iran depuis la révolution islamique de 1979. S'en est suivie sa mort à l'hôpital le 16 septembre, après plusieurs jours dans le coma.
Le chef de la police de Téhéran, le général Hossein Rahimi, a déploré «un incident regrettable» mais a démenti toute responsabilité de l'institution, assurant qu'il n'y avait eu aucun «contact physique» avec la victime. Cette version des faits n'a pas suffi à calmer la contestation et des manifestants, qui accusent les bassidji (force paramilitaire iranienne ayant de multiples fonctions dont le respect des mœurs) d'avoir torturé Mahsa Amini, sont rapidement descendu dans les rues.
Des rassemblements ont ainsi eu lieu à Sanandaj, capitale de la province du Kurdistan dans le nord-ouest de l'Iran, ainsi que dans plusieurs universités de la capitale, selon les agences de presse iraniennes Fars et Tasnim.
L'Occident, fidèle soutien des manifestations antigouvernementales iraniennes
La réaction de l'Occident ne s'est pas fait attendre. «L'arrestation puis la mort de Mahsa Amini [...] aux mains de la police des mœurs iranienne, sont profondément choquantes. La France condamne cette arrestation et les violences qui ont entraîné sa mort et présente ses sincères condoléances à sa famille», a affirmé le 19 septembre la porte-parole du ministère français des Affaires étrangères dans un communiqué.
Paris appelle à une «enquête transparente [...] pour faire toute la lumière sur les circonstances de ce drame», et réaffirme «son engagement constant et déterminé, partout dans le monde, à combattre et à éliminer toutes les formes de violence à l’égard des femmes et des filles».
Même son de cloche du côté de l'administration américaine. La Maison Blanche juge la mort de la jeune fille de 22 ans «impardonnable». «Nous continuerons à tenir responsables les dirigeants iraniens pour de telles violations des droits humains», écrit sur Twitter Jake Sullivan, conseiller au président américain sur la sécurité intérieure. L'envoyé américain en Iran Robert Malley a également saisi l'occasion pour apporter son soutien. «La mort de Mahsa Amini après des blessures subies en garde à vue pour un hijab "inapproprié" est épouvantable. Nos pensées vont à sa famille. L'Iran doit mettre fin à sa violence contre les femmes pour avoir exercé leurs droits fondamentaux. Les responsables de sa mort devraient être tenus responsables», a-t-il déclaré sur son compte twitter.
A son tour, l'ONU s'est inquiétée le 20 septembre de la violence de la répression des autorités iraniennes contre les manifestants. «La Haute Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme par intérim, Nada Al-Nashif, a exprimé son inquiétude face à la mort en détention de Mahsa Amini et à la réaction violente des forces de sécurité aux manifestations qui ont suivi», souligne un communiqué du Haut Commissariat.
En 2019, les chancelleries occidentales avaient également soutenu les manifestations contre la hausse des prix en Iran. Pendant plusieurs semaines, des heurts avaient en effet eu lieu dans plusieurs villes iraniennes. Le président américain de l'époque Donald Trump avait alors accusé Téhéran d'essayer, en coupant l'accès à internet, de cacher aux Iraniens et au monde la «tragédie» en cours. De surcroît, le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo avait invité les manifestants iraniens à transmettre aux Etats-Unis toute preuve de répression de la part du régime de Téhéran, assurant qu'ils «sanctionner[ai]nt ces abus».
L'Allemagne avait également condamné les «actions disproportionnées» des forces de sécurité iraniennes. A Bruxelles, l'Union européenne avait dit attendre des forces de sécurité qu'elles fassent preuve «de la plus grande retenue». De son côté Téhéran avait dénoncé «un complot» ourdi par l'étranger et avait accusé l'Union européenne d'ingérence. L'Iran avait également demandé à l'Europe d'expliquer pourquoi «elle ne tenait pas ses promesses» d'aider la République islamique à contourner les sanctions américaines qui ont plongé son économie dans une violente récession, alimentant la crise sociale.
Pompier pyromane ?
Et pour cause, la difficile situation économique dans laquelle se trouve le pays constitue le terreau sur lequel cette nouvelle vague de colère s'exprime. Alors que l'économie iranienne semblait sur la voie du redressement, les Etats-Unis de Donald Trump s'étaient unilatéralement retirés de l'accord sur le nucléaire en 2018 et avaient rétabli de lourdes sanctions, plongeant Téhéran dans une grave crise économique et sociale.
En effet, suite à la levée des sanctions induites par l'accord de Vienne en 2015, la croissance avait atteint 8,8% en 2016 et 2,7% en 2017 selon les chiffres du FMI. Mais avec la réimposition des sanctions américaines, le dollar s'est envolé par rapport au rial, progressant de 55 530 pour un dollar en avril 2018 à plus de 330 000 en juin 2022. Parallèlement, l'Etat iranien a subi de plein fouet un embargo pétrolier. Ainsi, les exportations pétrolières sont passés de 2 millions de barils par jour en 2017 à moins de 190 000 en 2020. L'or noir qui est la principale ressource du pays est de ce fait quasi-invendable.
L'extraterritorialité des sanctions américaines effecte également les entreprises locales qui n'arrivent plus à importer en raison de la hausse des coûts et donc à embaucher la main d'œuvre iranienne. Le taux de chômage avoisine les 20%. En outre, l'Iran manque cruellement d'eau et cette situation de stress hydrique avait entraîné de nombreuses manifestations pendant les périodes de fortes chaleurs cet été.
Téhéran se trouve donc dans l'impératif de trouver une bouée de sauvetage économique pour des investissements étrangers.
Un temps, les regards étaient tournés à l'Ouest pour mettre fin à quatre décennies de sanctions européennes et américaines, mais compte tenu du manque d'assurance et de la crainte du non respect d'un hypothétique accord sur le nucléaire, l'Iran regarde de plus en plus à l'est vers Pékin et Moscou.