La fille de l'intellectuel «néo-eurasiatique» russe Alexandre Douguine a été tuée le 20 août au soir dans l'explosion d'une voiture à Bolchié Viaziomy, dans la région de Moscou, a fait savoir le comité d'enquête russe dans un communiqué publié ce 21 août sur son site.
Le document précise que la journaliste et politologue Daria Douguina, née en 1992, a été tuée «sur le coup» dans l'explosion, vers 21h, de la voiture qu'elle conduisait, une Toyota Land Cruiser.
Selon les enquêteurs, cités par l'agence de presse RIA Novosti, «il a déjà été établi qu'un engin explosif avait été placé sous la voiture, côté conducteur». Selon la même source, le comité d'enquête a fait savoir que «le crime» avait été «ordonné et planifié à l'avance».
RIA Novosti ajoute qu'un enregistrement vidéo de la caméra embarquée de la voiture a été saisi et que des experts en explosifs et des criminologues ont été dépêchés sur place afin d'examiner la scène du drame.
Le bureau du procureur de la région de Moscou a ouvert une enquête sur l'affaire en vertu de la deuxième partie de l'article 105 du code pénal (point «e») : «Meurtre commis d'une manière généralement dangereuse.»
Le 21 août, de nombreux habitants sont venus déposer des fleurs à l'endroit où la jeune femme a perdu la vie.
Erreur sur la cible ?
La commission d’enquête affirme envisager toutes les hypothèses sur les circonstances de ce décès.
Selon des proches de la famille Douguine, cités par les agences de presse russes, c'est en réalité Alexandre qui aurait été la cible de cette attaque. D'après les médias russes, Daria aurait en fait pris la voiture où son père devait se trouver.
Interrogé part RT, le musicien, également reporter de guerre, Akim Apatchev, qui assure qu'il était en compagnie de Daria Douguina quelques heures avant sa mort, confirme également cette hypothèse. «Evidemment c'était une attaque contre Alexandre Douguine», affirme-t-il, notant que celui-ci est considéré en Occident comme «le principal idéologue de Vladimir Poutine». Selon lui, Alexandre Douguine «aurait dû être une victime sacrificielle».
Née du deuxième mariage d'Alexandre Douguine avec la philosophe Natalia Melentieva, Daria était diplômée de la faculté de philosophie de l'Université d'Etat Lomonossov de Moscou et avait travaillé comme observatrice politique du Mouvement international eurasiatique.
Alexandre Douguine était visé depuis 2014 par des sanctions de l'Union européenne après le rattachement de la Crimée, suite à un référendum basé sur le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, à la Russie. Il avait été inscrit en 2015 par les Etats-Unis sur une liste de personnalités sanctionnées pour des actions menaçant, selon eux, l'intégrité territoriale de l'Ukraine.
Daria Douguina était pour sa part visée par des sanctions prises à son encontre par le Royaume-Uni depuis juillet, Londres l'accusant d'être une «source de désinformation concernant l'Ukraine» et de soutenir ou encourager «des politiques ou des actions visant à déstabiliser la situation en Ukraine».
Le chef de la République de Donetsk accuse Kiev... qui dément
Denis Pouchiline, le président de la République populaire de Donetsk (RPD), a estimé sur Telegram que ce décès était un assassinat fomenté par Kiev. Il a accusé le soir même les «terroristes du régime ukrainien» d'être à l'origine de l'explosion en ayant «tenté de liquider Alexandre Douguine».
De nombreux faits se sont accumulés au fil des ans, des appels politiques à la violence à la gestion et à la participation des structures gouvernementales ukrainiennes aux crimes
De son côté, toujours sur la messagerie cryptée, la porte-parole du ministère russe, Maria Zakharova, a déclaré dans la matinée du 21 août : «Si la piste ukrainienne est confirmée, une version qui a été formulée par le chef de la RPD Denis Pouchiline et qui doit être vérifiée par les autorités compétentes, alors il s’agira de la politique de terrorisme d'Etat mise en œuvre par le régime de Kiev.»
«De nombreux faits se sont accumulés au fil des ans, des appels politiques à la violence à la gestion et à la participation des structures gouvernementales ukrainiennes aux crimes», a-t-elle ajouté, précisant attendre les conclusions de l'enquête.
Répondant à ces accusations, Mikhaïl Podoliak, chef du bureau du président ukrainien Volodymyr Zelensky, a quant à lui expliqué, cité par l'agence de presse Unian, que son pays n'avait «rien à voir» avec la mort de Daria Douguina.
Alexandre Douguine, le théoricien du néo-eurasisme
Né en 1962 à Moscou, passé par l'Académie d'Etat de Novotcherkassk et l'Institut d'aviation de Moscou, Alexandre Douguine est docteur en sciences politiques et sociologiques et docteur en sciences philosophiques.
Passé par plusieurs médias et ayant publié de nombreux ouvrages depuis 1991, il fonde en 1993 avec Edouard Limonov le Parti national-bolchévique. Au début des années 2000, il crée le Mouvement social politique panrusse Eurasia. En 2003, le parti Eurasia devient le Mouvement international eurasiatique, se revendiquant du conservatisme et voulant combattre l'impérialisme américain et la civilisation occidentale par la constitution d'un nouveau bloc continental.
Selon sa thèse, ce «nouvel empire eurasiste» pourra voir le jour face à l'existence d'un «ennemi commun», voyant dans le «refus de l'atlantisme, du contrôle stratégique des Etats-Unis» ou encore dans «le refus de laisser les valeurs libérales» se développer, un espace pour la création d'un «socle civilisationnel commun».
Dès 2014, il appelle le président russe Vladimir Poutine à envoyer des troupes dans le Donbass et à reconnaître les Républiques populaires de Donetsk (RPD) et de Lougansk (RPL), à l'époque autoproclamées. Dans un entretien avec la radio Govorit Moskva, il demande au président de «libérer la Novorossia, le territoire de la RPD et de la RPL des bandes nazies».
Cette prise de position lui coûte son poste de chef du département de sociologie des relations internationales de la faculté de sociologie de l'Université d'Etat de Moscou, qu'il occupait depuis 2009.
Il devient par la suite rédacteur en chef de la chaîne de télévision Tsargrad. Le magazine Foreign Policy le place dans son classement des 100 plus grands intellectuels du monde dans la catégorie intitulée «Propagandistes», le qualifiant d'inspirateur de l'expansion russe.
Ces dernières années, plusieurs de ses ouvrages avaient été interdits en Ukraine notamment Ukraine. Ma guerre. Journal géopolitique et Revanche eurasiatique de la Russie.