Le changement n'est pas anodin : alors que Yaël Braun-Pivet avait été nommée ministre des Outre-Mer dans le premier gouvernement d'Elisabeth Borne - fonction qu'elle n'aura occupé que 36 jours -, son successeur Jean-François Carenco occupe le rang de ministre délégué «auprès du ministre de l'Intérieur et des Outre-mer» et est donc placé sous l'autorité de Gérald Darmanin, qui a bénéficié d'un élargissement de son périmètre ministériel à l'occasion du remaniement du 4 juillet. Or, comme le relève Libération, «cela faisait dix ans [...] que les Outre-mer bénéficiaient d’un ministre de plein exercice», au-delà des alternances politiques.
«Un retour en arrière historique»
Cette évolution a été fraîchement accueillie par une série de personnalités politiques, à commencer par les députés ultramarins membres des oppositions, qui ont relié la décision à la défiance qu'ont exprimé les électeurs à l'encontre de la majorité présidentielle. Selon Karine Lebon, députée de la Nupes de La Réunion, il s'agit d'«un retour en arrière historique» pour les Outre-Mer et d'une forme de mépris de la part du gouvernement. «Quel message envoie t-on aux ultramarins ? Prière de ne pas déranger ?», s'est-elle interrogée.
Dans un entretien à Libération, elle a estimé que le gouvernement adopte ainsi une «approche sécuritaire de nos problèmes, loin des enjeux sociaux, économiques et institutionnels qui sont minorés», rappelant que les Outre-Mer connaissent des taux de pauvreté et de chômage bien plus élevés que la métropole, et souffrent d'un certain isolement. «Tout ce qui compte pour le gouvernement, c’est que nos territoires restent calmes», a estimé l'élue auprès du quotidien.
«Emmanuel Macron nous ferait-il payer ses scores dans nos territoires respectifs ?», s'est également interrogé Frédéric Maillot, autre député de gauche de La Réunion. Selon lui, le rattachement des Outre-Mer à l'Intérieur réactive «une bonne vieille référence coloniale» et envoie un message «très clair» aux peuples ultra-marins.
L'ex-candidate du Rassemblement national à la présidentielle, Marine Le Pen, a livré une appréciation similaire de cette nouvelle architecture gouvernementale, décidée «sûrement pour punir nos compatriotes ultramarins d’avoir "mal voté"». Ceux-ci, par conséquent, «perdent aujourd’hui leur Ministère», a-t-elle déploré, y voyant une décision «lourde de sens» qui sera «évidemment très mal ressentie».
Une contestation profonde en toile de fond
Les oppositions de gauche et de droite ont été plébiscitées Outre-Mer lors des récents scrutins : l'élection présidentielle avait ainsi vu Jean-Luc Mélenchon arriver d'abord très largement en tête au premier tour (près de 40 % des suffrages), avant que Marine Le Pen y recueille près de 60 % des voix au second tour, loin devant Emmanuel Macron. Le Monde avait souligné «la défiance des électeurs vis-à-vis de l’exécutif» et noté, à propos du scrutin législatif, que «la vague dégagiste dans les Outre-mer a emporté sur son passage quinze des dix-neuf candidats investis ou qui bénéficiaient du soutien de la coalition Ensemble!».
Les écarts économiques avec la métropole, les forts taux de chômage et de pauvreté ou encore le scandale du chlordécone ont été à l'origine de plusieurs mouvements de contestation importants dans les Outre-Mer, dont une grève générale de près de quarante-cinq jours en 2009.
Plus récemment, le refus de l'obligation vaccinale a donné lieu à de violents affrontements avec les forces de l'ordre, particulièrement en Guadeloupe, où le directeur du CHU avait dû être exfiltré par la police en début d'année. En novembre 2021, des renforts de policiers et de gendarmes avaient été envoyés depuis la métropole, dont une cinquantaine de membres des unités du GIGN et du Raid, tandis que le ministre des Outre-Mer de l'époque, Sébastien Lecornu (désormais ministre des Armées), avait émis la suggestion d'accorder davantage d'«autonomie» à l'île peu après.
Le nouveau ministre délégué aux Outre-Mer, Jean-François Carenco, a d'ailleurs occupé la fonction de préfet de Guadeloupe de 1999 à 2002, après avoir été préfet de Saint-Pierre-et-Miquelon (1996-1997). Alors qu'il présidait jusqu'à présent la Commission de régulation de l'énergie, c'est désormais le «dossier explosif de l'Outre-mer» qui l'attend, estiment Les Echos.
Parmi les nouvelles arrivées au sein du deuxième gouvernement d'Elisabeth Borne figure également Sonia Backès, nommée secrétaire d'État chargée de la Citoyenneté auprès du ministère de l'Intérieur et des Outre-mer. Présidente de la province sud de cette collectivité française, elle a été décrite par TF1 comme une «figure de la droite anti-indépendance de Nouvelle-Calédonie», qui avait annoncé son ralliement au président de la République au début de l'année 2022. «Si la Nouvelle-Calédonie est restée française, c'est grâce à l'engagement d'Emmanuel Macron et de Sébastien Lecornu», avait-elle déclaré à cette occasion auprès du Figaro.