Une inspection administrative a confirmé une bonne partie des accusations du livre Les Fossoyeurs sur des «dysfonctionnements graves» au sein du groupe d'Ehpad privés Orpea, selon le gouvernement, qui saisit la justice et exige le remboursement de dotations indues mais se refuse à publier le rapport d'enquête.
«Au regard de dysfonctionnements graves, [l'Etat] porte plainte et saisit le procureur de la République», sur la base de l'article 40 du code de procédure pénale qui oblige toute autorité à signaler des faits délictueux dont elle aurait connaissance, a indiqué le 26 mars sur France Inter la ministre déléguée chargée de l'autonomie des personnes âgées, Brigitte Bourguignon. Elle a ajouté que le gouvernement demandait la restitution de dotations publiques présumées détournées de leurs fins.
Ces décisions font suite au rapport d'enquête que les Inspections générales des Finances (IGF) et des Affaires sociales (IGAS) viennent de transmettre au gouvernement, qui les avait saisies le 1er février pour faire la lumière sur les faits dénoncés par le journaliste Victor Castanet dans un livre explosif : Les Fossoyeurs. Ce rapport fait état de «dysfonctionnements significatifs dans l'organisation du groupe, au détriment de la prise en charge des résidents», précise le ministère dans un communiqué.
Très attendu depuis des semaines, ce rapport ne sera cependant pas rendu public, car couvert par le «secret des affaires», selon le cabinet de Brigitte Bourguignon qui se confiait à l'AFP. Le 11 mars, le ministre de la Santé Olivier Véran avait pourtant affirmé qu'il comptait publier une partie de ce document, à savoir «la totalité, à l'exception de ce qui est couvert par le secret des affaires».
Orpea soupçonné d'avoir augmenté ses bénéfices malgré un personnel insuffisant
Les sommes en jeu sont de l'ordre de «plusieurs millions» d'euros, a fait savoir la ministre le 25 mars au matin. Il s'agit notamment de «l'absence de suivi comptable des excédents sur les financements publics», selon le ministère. Orpea est soupçonné d'avoir augmenté son bénéfice en embauchant moins de personnels soignants que ce que lui permettaient les dotations publiques versées dans ce but, en conservant les fonds non dépensés.
Le groupe est également soupçonné de «majorer artificiellement le coût des achats financés par l'argent public», via un système de «remises de fin d'année» accordées par ses fournisseurs.
Au-delà de l'aspect comptable, les inspecteurs de l'administration ont également constaté des «fragilités dans l'accompagnement des résidents». Selon eux, la «satisfaction de [leurs] besoins nutritionnels» laissait à désirer, certains personnels «n'étaient pas forcément à la hauteur» et des résidences accueillaient trop de pensionnaires par rapport à leur capacité autorisée.
Le «secret des affaires» invoqué par le gouvernement
Ces conclusions et la saisie de la justice par l'Etat constituent une «étape fondamentale», a réagi Victor Castanet. Cependant «les familles de pensionnaires et les salariés qui ont participé à mon enquête [...] ne comprennent pas la non-publication de ce rapport», a affirmé à l'AFP le journaliste.
«L'argument du secret des affaires m'a été opposé tout au long de mes trois années d'enquêtes [et] de nouveau, cette notion floue protège un groupe privé au détriment de l'intérêt général», a-t-il déploré. «De quel droit on cacherait des informations sur une utilisation contestable de l'argent des Français ? C'est difficilement audible !», a-t-il ajouté plus tard sur France Info. Pour Laurent Garcia, ancien salarié d'Orpea qui a été l'un des lanceurs d'alerte à l'origine de l'enquête de Victor Castanet, «c'est aberrant».
Cette décision est «surprenante, à la limite choquante», a abondé le sénateur (LR) Bernard Bonne, co-rapporteur de la commission d'enquête du Sénat sur le scandale Orpea. «Je fais le siège du ministère depuis le début de la semaine, mais on ne nous l'a toujours pas transmis», a-t-il indiqué à l'AFP.
Brigitte Bourguignon doit être entendue dans l'après-midi du 29 mars par cette commission – avant les dirigeants d'Orpea le 30 mars – et la question du refus de transmission du rapport «sera la première à lui être posée», a-t-il assuré.