Avec un certain goût pour les statistiques, la formule sécuritaire («plus de bleu dans la rue») et une gestuelle qui rappelait plus que jamais un ancien président de la République, Emmanuel Macron a conclu lui-même la concertation du Beauvau de la Sécurité ce 14 septembre depuis l'école de police de Roubaix (Nord).
Si la légitimité des tables rondes du Beauvau a parfois été remise en cause en raison d'un certain manque de représentativité de la société civile et des associations, le public sécuritaire était néanmoins très attentif aux annonces qui devaient être faites par le président de la République française.
Le reste de la France aura pour sa part vu un chef d'Etat qui a reconnu, peut-être un peu tard, qu'il n'avait pas placé la sécurité intérieure au cœur de ses préoccupations dès 2017 (un véritable «talon d'Achille» selon Philippe Corbé sur BFMTV ce 14 septembre), à part pour le volet antiterroriste, et qui se lance doucement sur le chemin d'une campagne présidentielle 2022 sur un terrain dominé par plusieurs nuances de droite.
L'Elysée avait promis la veille des annonces «substantielles» tous azimuts : le président français aura finalement principalement mis l'accent sur le domaine judiciaire. Se faisant l'écho des fonctionnaires, les syndicats de police désiraient un accroissement de la réplique pénale : l'observatoire tant attendu de la réplique pénale est créé, la formation initiale des policiers et des gendarmes en matière judiciaire est renforcée en devenant obligatoire et les moyens pour lutter contre la cybercriminalité se voient renforcés avec un horizon lointain à 2030 dans le cadre de la loi de programmation sur la sécurité intérieure (Lopsi) à venir début 2022.
Fin du rappel à la loi et introduction progressive de la plainte en ligne
Les associations de policiers et certains syndicats, notamment d'officiers, réclamaient également à cor et à cri une simplification de la procédure pénale. Emmanuel Macron confirme donc la fin du rappel à la loi, devenu aussi obsolète que pesant, et un élargissement de l'amende forfaitaire expérimentée dans le domaine de la lutte contre les stupéfiants (notamment en ce qui concerne l'occupation illégale de terrains par les gens du voyage et des halls d'immeubles par les trafiquants).
L'introduction progressive de la plainte en ligne pourrait également se généraliser d'ici 2023. Une montée en compétence des personnels administratifs de la police nationale pourrait aussi être utilisée à bon escient pour dégager du temps à destination du personnel de voie publique, a également expliqué le chef de l'Etat
Les personnels administratifs, techniques et scientifiques sortent d'ailleurs grands vainqueurs de cette concertation du Beauvau entamée au début de l'année : Emmanuel Macron a annoncé ce 14 septembre que leur statut deviendrait enfin équivalent à celui des autres policiers. Une belle avancée pour ce secteur malmené de la police et qui s'était longuement mis en grève en 2019 pour manifester son indignation.
Concernant certaines grandes attentes du public spécialisé vis-à-vis du Beauvau de la Sécurité, Emmanuel Macron a également annoncé une réédition corrigée du schéma national du maintien de l'ordre et demandé à son ministre de l'Intérieur de mettre en musique «dans les plus bref délais» le rapport Delarue sur les relations entre presse et forces de sécurité.
Les rapports des inspections générales de la police et de la gendarmerie seront désormais rendus publics
Sur le chapitre de l'exigence attendue de la part des membres des forces de sécurité, Emmanuel Macron a confirmé les annonces du 13 septembre concernant la création d'une commission parlementaire chargée de contrôler l'action des forces de l'ordre sur le modèle de la commission parlementaire sur le renseignement.
«Quand on aime nos forces de l'ordre, on ne leur passe pas tout», souligne encore le président français, qui précise aussi qu'à l'avenir, les rapports des inspections générales de la police et de la gendarmerie (IGPN et IGGN) seront rendus publics, ainsi que leurs suites, avec des sanctions qui seront prononcées dans un délai court, le cas échéant.
Emmanuel Macron a également assuré aux fonctionnaires que les 30 000 caméras individuelles qui équiperaient prochainement les policiers dans leurs patrouilles étaient de bonne qualité, contrairement aux anciennes, et qu'à terme elles pourraient équiper tous les fonctionnaires.
Transparence, responsabilité, considération, mais aussi modernisation : le président français souhaite plus de «techno» dans le travail de police et d'enquête, et entend même moderniser les tenues avec un calot qui va venir remplacer la casquette, ainsi que de nouveaux polos.
Vers une plus grande porosité entre les différents corps de métier ?
Le renouvellement de l'équipement des policiers scientifiques et de leurs véhicules, par exemple, montre la volonté du ministère et du gouvernement de se ménager les grâces des forces de sécurité intérieure. Certains points devront toutefois encore être discutés avec les corps intermédiaires, car le président de la République annonce également une réforme des cycles horaires et une plus grande porosité entre les différents corps, très cloisonnés à l'heure actuelle, qui composent notamment la police nationale.
Emmanuel Macron veut enfin «plus de bleu dans la rue», et une présence accrue de la hiérarchie sur le terrain toute la journée, toute la nuit et sept jours par semaine, ce qui nécessitera une «réorganisation collective du travail» et une nouvelle culture de la «promotion interne».
La tâche reste énorme et le retard à l'allumage du gouvernement sur les sujets de sécurité et de police en particulier pourrait se payer cher dans les mois à venir si l'actuel locataire de l'Elysée voulait y être reconduit par les Français... D'ici là, il faudra encore démontrer que l'Etat ne faillit pas dans certaines zones difficiles parfois qualifiées de «territoires perdus de la République», et dont l'appellation a d'ailleurs été confirmée par la mise en place du dispositif «quartiers de reconquête républicaine» depuis 2017... Les résultats sont, pour le moment, assez maigres en la matière, malgré l'emphase de Gérald Darmanin au sujet de la lutte contre les stupéfiants.
Antoine Boitel