Les images ont fait le tour du monde : des Taliban équipés d'armes et de treillis les faisant ressembler à des agents des forces spéciales américaines inspectant l'aéroport de Kaboul le 30 août quelques instants après le départ des derniers soldats de l'US Army. Depuis la débâcle de l'armée Afghane, l'entrée des Taliban dans la capitale afghane et la fuite précipitée de l'ancien président Ashraf Ghani le 15 août, la victoire de ces islamistes ultra-radicaux après près de 20 ans de guerre les a fait revenir sur le devant de la scène médiatique.
Et désormais, devant les caméras des correspondants étrangers encore tolérés, les Taliban exhibent fusils d'assaut M16 et carabines M4 en dotation dans l'armée américaine à côté de leurs éternels kalachnikovs et RPG soviétiques de l'époque de la guerre froide.
Les armes légères ne sont les pas seules concernées. Des images de Taliban posant devant des hélicoptères américains, dont des Black Hawk pouvant coûter jusqu'à 21 millions de dollars pièce, et même des avions, sont partagées sur les réseaux sociaux.
Le 1er septembre, des membres du mouvement islamiste ont même paradé fièrement dans la ville de Kandahar, considérée comme le berceau des Taliban.
Des milliards de dollars d'armement
En 20 ans de guerre, les Américains ont dépensé 2 300 milliards de dollars en Afghanistan, d’après une estimation de la Brown University. Selon le site Openthebooks.com, les Etats-Unis ont alloué au moins 83 milliards de dollars à l'armement et la formation des 300 000 soldats des forces de sécurité afghanes même si les données exactes sont difficiles à obtenir. Sur la base de deux rapports du Government Accountability Office (GAO, un organisme d'audit, d'évaluation et d'investigation du Congrès des États-Unis chargé du contrôle des comptes publics du budget fédéral des États-Unis) et de l'inspection générale pour la reconstruction de l'Afghanistan (SIGAR) datés de 2017 et 2020, l'organisation rapporte entre autres que 75 898 véhicules et 208 avions ont été fournis aux forces armées afghanes entre 2003 et 2016.
Selon le GAO encore, c'est près de 600 000 armes d'infanterie, 162 000 pièces d'équipement de communication, 16 000 lunettes de vision nocturne (qui coûtent entre 5 000 et 10 000 dollars chacune) qui ont été transportées dans le pays.
Les Taliban mieux équipés que l'armée ukrainienne, selon Moscou
Le ministre russe de la Défense Sergueï Choïgou a quant à lui déclaré le 30 août que les Etats-Unis avaient abandonné plus d'une centaine de lance-missiles antichars portables Javelin, directement tombés entre les mains des Taliban, considérés comme une organisation terroriste interdite en Russie. Selon lui, le chiffre est largement supérieur à l'armement mis à disposition de l'armée ukrainienne par les Etats-Unis.
«Si l’on dit que les Etats-Unis ont livré quelques dizaines de Javelin à l’Ukraine, je ne me souviens plus [exactement], ici, il y en a plus d’une centaine. Pas livrés, mais simplement tombés entre les mains [des Taliban]», a-t-il déclaré sur la chaîne YouTube Soloviev Live.
Répondant ensuite à une remarque du journaliste Vladimir Soloviev selon lequel les Taliban seraient «mieux armés que l’armée ukrainienne, avec des armes plus modernes», le ministre a acquiescé : «Si l’on compte en milliers de militaires, on peut le dire».
Des armes bientôt remises en circulation ?
Combien de ces armes sont tombées effectivement entre les mains des Taliban ? La question demeure entière. Entre 40 et 50 avions de l'armée Afghane ont pu échapper à leur contrôle et sont en Ouzbékistan après que 500 soldats les ont utilisés pour fuir le pays. D'autres encore étaient en maintenance aux Etats-Unis au moment de la prise de Kaboul.
«Nous n'avons pas une idée complète, bien sûr, d'où est allé chaque matériel de défense militaire, mais certainement qu'une bonne partie d'entre eux sont tombés entre les mains des Taliban», a reconnu le Conseiller à la sécurité nationale des États-Unis Jake Sullivan le 17 août.
Il est inconcevable que des équipements militaires de haute technologie payés par les contribuables américains soient tombés entre les mains des Taliban et de leurs alliés terroristes
Le camp républicain s'est logiquement engouffré dans la brèche pour critiquer l'administration Biden dans un paysage politique encore marqué par le mélodrame de la passation de pouvoir avec Donald Trump : «Il est inconcevable que des équipements militaires de haute technologie payés par les contribuables américains soient tombés entre les mains des Taliban et de leurs alliés terroristes. La sécurisation des actifs américains aurait dû figurer parmi les principales priorités du département américain de la Défense avant d'annoncer la retraite d'Afghanistan», lit-on dans une lettre au Secrétaire de la Défense Lloyd Austin signée le 18 août par 25 sénateurs menés par le républicain Marco Rubio. Les élus demandaient par ailleurs une évaluation précise du nombre des armes en possession des Taliban.
Selon un responsable américain anonyme cité par Reuters, le 12 août, le renseignement américain évaluait alors à au moins 2 000 blindés, dont des transporteurs Humvees, et jusqu'à 40 aéronefs dont des hélicoptères UH-60 Black Hawk ou des drones militaires ScanEagle récupérés par les Taliban.
Après leur départ de l'aéroport de Kaboul, les militaires américains ont fait savoir qu'il avaient saboté le matériel militaire qui s'y trouvait encore. Le général Kenneth McKenzie a ainsi déclaré que 73 aéronefs «ne voleront plus jamais» après avoir été «démilitarisés», idem pour 70 véhicules blindés MRAP résistant aux mines (1 million de dollars pièce), 27 véhicules légers Humvee et leur système de défense anti-missile C-RAM.
Si on peut avoir des doutes sur la capacité des Taliban à utiliser et entretenir les hélicoptères ou les avions qu'ils ont pu récupérer en état de fonctionnement, ces derniers peuvent tout de même en tirer de confortables bénéfices à la revente : «Par exemple, le seul manche de commande de certains avions militaires a une valeur d'acquisition de 17 808 dollars [15 086 euros] et un réservoir de carburant se vend jusqu'à 35 000 dollars [29 650 euros]», note Openthebook. Il en va de même pour les armes légères qui peuvent intéresser de nombreux acheteurs. De quoi assurer aux Taliban des fonds dont ils vont avoir besoin alors que leurs caisses ont été mises à mal par le gel des avoirs de la Banque centrale afghane détenus aux Etats-Unis, et la fin des aides internationales après leur victoire.
Ces armes pourraient aussi être utilisées pour anéantir les derniers foyers de résistance aux Taliban dans la vallée du Panshir qui est désormais le théâtre de combats.
Lucas Léger