France

13-Novembre : la cour d'appel de Paris devient un bunker sécurisé pour le «procès du siècle»

Prévu pour durer au moins huit mois à partir de septembre 2020, le procès des attentats islamistes du 13 Novembre à Paris et Saint-Denis se prépare avec 1 800 parties civiles et des défis sécuritaires de grande ampleur.

Jamais une audience criminelle n'aura eu en France une telle durée ni un tel nombre de parties civiles. L'organisation du procès monstre des attentats du 13 Novembre 2015, scruté dans le monde entier et filmé pour l'Histoire, constitue un défi immense pour l'institution judiciaire. 

Le «procès du siècle», comme il est qualifié dans les couloirs du palais de justice, aura nécessité plus de deux ans d'une organisation au cordeau. «On n'a jamais engagé autant de moyens, on travaille d'arrache-pied», confie une source proche du dossier à l'AFP.

Comment rendre justice lors d'un procès s'étirant a minima sur huit mois et pendant lequel sont attendues des milliers de personnes sur un même site ? Avec près de 1 800 parties civiles constituées, plus de 300 avocats, des journalistes et du public attendus en nombre, la gestion des flux de circulation est l’une des préoccupations majeures de la cour d'appel, dans un contexte de menace terroriste élevée.

La salle d'audience réservée jusqu'au début de l'été 2022

Un large périmètre de sécurité devrait être mis en place pour bunkériser le palais de justice, sur l'île de la Cité au cœur de Paris, ses différentes entrées et la salle d'audience même.

Construite ex nihilo dans la salle des pas perdus, ce gigantesque auditoire compte 550 places et 15 salles de retransmission télévisée permettront aux autres de suivre les débats. 

Cependant, leur cheminement ne devra pas croiser l'activité normale de la cour d'appel, où les autres audiences sont maintenues parallèlement à celle du 13 Novembre.

Un véritable casse-tête pour la juridiction, avec de multiples inconnues : combien de victimes seront présentes dès le premier jour, puis toute la durée du procès, prévu pour durer au moins jusqu'au 22 avril ? Pour parer à tout impondérable, la salle est réservée jusqu'au début de l'été 2022.

Le dossier d'instruction compte un million de pages et 500 tomes

Outre les 1 800 parties civiles déjà constituées, quelque 800 avis à victimes ont été envoyés, soit potentiellement autant de personnes supplémentaires à accueillir à l'ouverture des débats, le 8 septembre à 12h30. Le magistrat qui présidera l'audience, Jean-Louis Périès, a expliqué lors d'une réunion le 18 juin en présence d'environ 150 avocats qu'il entendait consacrer les deux premières journées à l'appel des parties civiles et à celui de la centaine de témoins cités parmi lesquels l'ancien président de la République François Hollande. La lecture du rapport, soit un résumé des faits, exercice incontournable mais fastidieux alors que le dossier d'instruction compte un million de pages et 500 tomes, n'interviendra que le troisième jour. 

Pour le moment, le président a tablé sur 300 prises de parole de 30 minutes chacune

Pendant la réunion du 18 juin, où étaient aussi présents les trois avocats généraux qui représenteront l'accusation, tous ont pu tester les micros et le confort des sièges. Et aborder les questions organisationnelles et procédurales, encore à trancher : les avocats de la défense disposeront-ils d'un espace confidentiel pour s'entretenir avec les accusés ? Pourront-ils laisser dans une salle du palais les milliers de cotes du dossier ? Et quid des victimes étrangères qui voudront suivre le procès, pourront-elles bénéficier d'un interprète ? Au total, combien de rescapés des terrasses et du Bataclan, et leurs proches, viendront raconter l'horreur à la barre ? 

«Pour le moment, le président a tablé sur 300 prises de parole de 30 minutes chacune», fait savoir Gérard Chemla, conseil de parties civiles. Soit «quatorze auditions par jour», complète un autre avocat auprès de l'AFP.

Les auditions de parties civiles sont prévues sur cinq à six semaines à partir de fin septembre, dont quatre à cinq pour le seul Bataclan. Mais «cela reste évolutif. Elles doivent parler si elles ont besoin de le faire. [...] On sait qu'elles vont être terrassées par le poids, la durée et l'intensité dramatique» du procès, poursuit l'avocat.

Le planning prévisionnel, qui fixe à ce stade 131 journées d'audience, doit veiller à respecter l'équilibre entre la part dévolue aux victimes par rapport à celle des accusés. 

Autre enjeu hautement sensible pointé par l'AFP : le paiement par l’Etat des frais d'avocats via l'aide juridictionnelle, dispositif qui permet aux plus démunis de pouvoir se défendre, et qui est de droit pour les victimes de terrorisme. Les audiences commençant à 12h30, une demi-journée d'indemnisation est dévolue par victime ou par accusé. «Insuffisant», soufflent leurs conseils, qui pendant toute la durée du procès devront recruter des collaborateurs et faire tourner leurs cabinets, et qui craignent de «mettre la clef sous la porte».

«Ce que le public doit comprendre aussi, c'est que pour qu'il y ait justice, il faut un bon procès et que chacun puisse faire son travail dignement. Si la défense est mal préparée, les accusés ne seront pas à la hauteur de l'enjeu et ce sera donc un mauvais procès», explique un avocat de la défense auprès de l'AFP qui précise que le sujet est sur la table de la Chancellerie.