A moins d'un an de la présidentielle, Les Républicains (LR) semblent vivre une crise interne sans précédent. L'affaire autour d'un possible accord en Provence-Alpes-Côte d'Azur (Paca) pour les régionales entre ce parti de droite dite «modérée» et La République en marche a réveillé quelques crispations.
En point de départ, le président sortant du conseil régional en Paca Renaud Muselier, tendait la main aux macronistes le 29 avril pour les élections locales du mois de juin. Une position d'ouverture qui ne colle pas vraiment avec un parti qui tente tant bien que mal de s'afficher dans l'opposition à Emmanuel Macron.
Mais ce qui a fait paniquer l'appareil est la réaction du Premier ministre Jean Castex, qui s'est engouffré dans la brèche le 2 mai. Il annonce alors en effet au JDD un accord électoral avec les LR dans le sud et le retrait de la liste LREM au profit de Renaud Muselier. LR/ LREM, même combat ? Les Républicains ne pouvaient laisser passer cela. Ils diligentent par conséquent une commission nationale d'investiture avec une rencontre avec le chef de file des listes en Paca. Après une explication de texte le 4 mai avec Renaud Muselier, Christian Jacob tente de rassurer ses troupes en affirmant faire toute confiance à l'actuel président du conseil régional. Sauf que sa position est tout sauf claire. Dans le communiqué officiel, Les Républicains ont beau affirmer qu'il ne peut y avoir ni ministre, ni député LREM sur une liste LR, la porte reste ouverte à l'intégration de marcheurs sortant de ce cadre. En face, Renaud Muselier est tout aussi ambigu, prônant le rassemblement, affirmant son «indépendance», saluant le soutien de Jean Castex, tout en tentant de rassurer son parti sur le fait qu'il n'y aura aucun accord d'appareil avec LREM. Et Renaud Muselier de rappeler son souhait d'ouverture. Ce qui n'est pas sans faire écho aux déclarations très macron-compatibles de l'un de ses proches : Christian Estrosi.
Le soir même, c'est le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal qui est envoyé au front pour alimenter le brouillard chez les républicains-centristes, assurant sur LCI qu'il y aurait «bien sûr» des candidats LREM sur la liste en Paca : «C'est le sens de ce rapprochement, de cette alliance qu'il y a avec Renaud Muselier.» Le flou est total.
Malgré tout, Christian Jacob pense garder la main sur ses lieutenants et avoir mis au pas la majorité présidentielle. Au matin du 5 mai, sur RTL, il va jusqu'à se féliciter : «Le Premier ministre a reçu une gifle qui, à mon avis, a eu des résonances jusqu'à l'Elysée.» Christian Jacob s'est-il montré trop présomptueux ?
Car c'est sans compter sur les volontés d'indépendance de l'aile centriste du parti. Le maire de Toulon Hubert Falco, qui n'a jamais caché sa macron-compatibilité, réagit avec fracas sur BFM TV, annonçant son départ de LR, et son possible soutien pour Emmanuel Macron en 2022.
Renaud Muselier, lui-même, joue un tour de passe-passe avec la direction. Au lendemain de son communiqué, il réitère sur France 2 sa volonté d'accueillir des macronistes, en invitant la secrétaire d'Etat Sophie Cluzel à le rejoindre sur les listes, en échange d'une démission de sa fonction.
Ces Républicains-centristes agitent en fait un chiffon rouge pour promouvoir l'ouverture avec la macronie : l'emporter sur le Rassemblement national (RN). En Paca, le RN serait au coude à coude pour la victoire, avec une liste menée par Thierry Mariani... ancien député LR et ministre sous Nicolas Sarkozy.
Paca n'est qu'un symptôme
Le cas de la région Paca est loin d'être le seul. Il est une vitrine médiatique qui cache d'autres tentatives d'accords. Dans le Grand Est, l'actuel président LR Jean Rottner (lui aussi sous la menace, selon les sondages, du RN représenté par Laurent Jacobelli), envisagerait possiblement un accord avec la ministre déléguée à l'insertion Brigitte Klinkert après le premier tour. Selon L'Est Républicain, qui rapporte des craintes de «pontes LR», Jean Rottner aurait même tenté l'alliance avant le premier tour, sans succès. Il a en tout cas refusé que l'eurodéputée et ancienne conseillère régionale de Lorraine, Nadine Morano, soit sur sa liste, l'écartant pour des raisons de ligne politique. L'ancienne sarkozyste n'est visiblement pas assez centriste. Ce qui a le don de l'agacer. Nadine Morano n'hésite ainsi pas à lancer des piques contre le meneur de jeu LR dans le Grand Est : «Jean Rottner m'a dit que ma ligne politique "n'était pas compatible avec la sienne". Il faudra une clarification. Etre de droite, ce n'est pas un handicap, c'est une fierté.»
Selon le Canard enchaîné du 5 mai, cette zizanie au sein du parti réjouirait Emmanuel Macron, qui y constaterait une «ampleur [...] plus forte qu’on ne l’imaginait». «Il faut suivre de près ce désordre à droite et la fracture qui s’amplifie, ce qui était notre principal objectif», aurait-il en outre ajouté à son entourage. L'hebdomadaire satirique confirme d'ailleurs qu'Emmanuel Macron œuvrerait pour installer des associations LR/LREM en Paca, dans le Grand Est et en Nouvelle-Aquitaine. Qu'est-ce qui pourrait tenter les Républicains-centristes à se fondre dans la macronie ? Les Républicains-centristes veulent-ils se prémunir d'une candidature à droite qui ne les conviendrait pas ou dont ils n'espèrent rien, voire dévoiler une macron-compatibilité en vue de se placer pour 2022 ? Nul doute, les cas de Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Edouard Philippe ou Jean Castex illustrent une porosité qui peut favoriser des opportunités de carrière.
Et La République en marche entend bien poursuivre ce travail de sape, en alimentant la confusion. Le député François de Rugy, tête de liste LREM aux élections régionales dans les Pays de la Loire, a par exemple soutenu le 5 mai devant l'Association des journalistes parlementaires qu'il entendait «poursuivre la recomposition politique» , appuyant sur le fait que sa porte était «grande ouverte» à LR (qui détient la région).
Pendant ce temps, le RN souhaite récupérer peu à peu l'électorat LR
Les Républicains sont en fait écartelés sur l'échiquier politique. Car il ne fait pas de doute que l'une de ses franges lorgne, pour sa part, plutôt vers la droite de la droite, à l'instar du secrétaire général du groupe LR et UDI au Conseil régional d'Occitanie, Cédric Delapierre. Celui-ci a annoncé son ralliement au candidat RN Jean-Paul Garraud.
En interne, une autre alliance ne passe pas : celle de Gilles Platret avec un cadre départemental de Debout la France (DLF) en Bourgogne-Franche-Comté. L'élu de l'Ain Damien Abad et le président du Sénat Gérard Larcher se sont ouvertement opposés à celle-ci. «Je suis contre tout accord politique avec DLF. Ce parti est présidé par Nicolas Dupont-Aignan qui devait être le Premier ministre de Marine le Pen», a réagi le 5 mai le président du groupe LR à l'Assemblée, faisant référence à l'entente entre les deux tours de la présidentielle entre Nicolas Dupont-Aignan et Marine Le Pen.
Le cordon sanitaire avec la droite radicale semble là aussi se briser. Et quand le député Eric Ciotti déclare le 30 avril ne «différencier» son parti du RN que par sa «capacité à gouverner», il laisse supposer qu'idéologiquement, LR et RN c'est en quelque sorte bonnet blanc, blanc bonnet. Certes le RN a encore peu de prises de guerres de caciques LR mais c'est surtout la base qui paraît s'effilocher. «L’électeur de droite est parti au RN parce qu’il pense que la droite ne fait plus le boulot », explique le 21 avril un stratège de la droite, pour Le Parisien.
Vers la fin de la synthèse ?
En prenant la tête du parti le 13 octobre 2019, Christian Jacob avait et a toujours pour principale mission de poursuivre la synthèse entre les deux ailes, qui était au cœur du projet lors de la création de l'UMP en 2002 (devenu LR en 2015) sous l'impulsion d'Alain Juppé. Une gageure...«Les gens n'ont plus envie de nous. On n'est pas crédible sur nos convictions et nous ne sommes pas identifiés», confiait-le député de La Manche Philippe Gosselin pour L'Express en 2019. Ce constat ne prend-il pas tout son sens en 2021 ?
Cela permet toutefois d'offrir paradoxalement une visibilité pour des figures qui refusent l'implosion des LR, en proposant une nouvelle dynamique. L'un des plus expressifs est Julien Aubert, incarnant la branche des gaullistes sociaux. Mis en échec en 2019 pour la présidence de la formation de droite, il promeut une orientation toute autre. «J'ai créé le mouvement Oser la France [courant qui se veut transpartisan] pour revenir sur nos fondamentaux, le gaullisme [...] Le parti centriste c'est Emmanuel Macron, il n'a pas d'objectif collectif [...] On doit sauver la nation française», dit-il notamment sur Public Sénat le 5 mai, en ciblant «les mondialistes» et combattant également Marine Le Pen et son «village d'Astérix» qui «cultive une identité renfermée».
Les Républicains ont peut-être aussi besoin d'un leader qui puisse rassembler et incarner un horizon. Le maire de Cannes David Lisnard gagne lui aussi en visibilité médiatique. Proche du centre-droit, de Valérie Pécresse comme de Xavier Bertrand, il fait partie des élus en pleine ascension, adoubé par le sénateur Bruno Retailleau. Reste que son positionnement libéral et en faveur de la décentralisation semble se juxtaposer avec celui de... La République en marche.
Bastien Gouly