France

Affaire Sarah Halimi: pas de procès pour un meurtre antisémite commis lors d'une «bouffée délirante»

Tout en entérinant le caractère antisémite du crime, la cour de cassation a confirmé le 14 avril l'irresponsabilité pénale de Kobili Traoré, meurtrier de Sarah Halimi pris lors des faits d'une «bouffée délirante» due à une consommation de cannabis.

Il n'y aura pas de procès dans l'affaire Sarah Halimi, sexagénaire de confession juive tuée en 2017 à Paris : la Cour de cassation, tout en entérinant le caractère antisémite du crime, a confirmé le 14 avril l'irresponsabilité pénale du meurtrier, Kobili Traoré, pris lors des faits d'une «bouffée délirante» due à une consommation de cannabis.

Cette décision, qui ne remet pas en cause son hospitalisation psychiatrique ordonnée par la justice, a suscité déception et colère de la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme et de représentants de la communauté juive. «C’est un drame supplémentaire qui s’ajoute à cette tragédie», a déploré la Licra, dont le président Mario Stasi s'est exprimé en ces termes : «L’antisémitisme n’est-il pas une bouffée délirante qui dure depuis des siècles ? C’est une bouffée délirante qui tue. Et dont nous devons nous protéger.»

«Désormais on peut dans notre pays torturer et tuer des Juifs en toute impunité», a vivement réagi le président du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), Francis Kalifat. 

«Les citoyens français de confessions juives doivent-ils aujourd’hui prendre leur propre disposition pour assurer leur propre sécurité ?», a lui déclaré l'un des avocats de la famille Halimi, Muriel Ouaknine Melki, annonçant vouloir porter l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH).

Pour la défense, en revanche, la Cour a maintenu sa jurisprudence «malgré la pression politique ou médiatique» : «On peut comprendre la frustration des victimes en l'absence de procès mais, en l'état actuel, notre droit refuse le jugement des actes de ceux dont le consentement a été aboli», s'est félicité l'avocat Patrice Spinosi.

L'affaire, qui suscite la controverse depuis quatre ans en France et en Israël, notamment sur l'antisémitisme qui imprégnerait certains quartiers populaires, remonte au 4 avril 2017. Cette nuit-là, Kobili Traoré, 27 ans, de confession musulmane, fait irruption chez sa voisine de 65 ans, Lucie Attal aussi appelée Sarah Halimi. Aux cris de «Allah Akbar», il la roue de coups en récitant des versets du Coran, avant de la jeter par-dessus le balcon de leur HLM de Belleville, dans l'est de Paris. Le jeune homme, fort consommateur de cannabis depuis l'adolescence, est arrêté et immédiatement hospitalisé.

D'un côté, la polémique s'enflamme et un bras de fer s'engage entre le parquet de Paris et la juge d'instruction sur le caractère antisémite du geste, finalement retenu par la magistrate en 2018. De l'autre, sept experts examinent successivement Kobili Traoré : à l'unanimité, ils concluent que le jeune homme était en proie à une «bouffée délirante».

La charge revenait alors à la justice de décider si son discernement était alors «altéré» – ce qui aurait alors ouvert la voie à un procès – ou bien «aboli», ce qui est synonyme d'abandon des poursuites. Le 19 décembre 2019, la cour d'appel de Paris avait après un débat public déclaré Kobili Traoré irresponsable pénalement, et ordonné son hospitalisation assortie de mesures de sûreté pour 20 ans.

Un «délire persécutif polymorphe» survenu après une consommation de cannabis

Cette décision avait fait scandale, suscitant de vives réactions politiques à droite comme à gauche. Une initiative sénatoriale était lancée pour changer la loi sur la responsabilité pénale, et la ministre de la Justice lançait une mission d'experts.

«Le besoin de procès est là», avait commenté le président Emmanuel Macron depuis Jérusalem, ce qui lui a valu une rare mise au point des deux plus hauts magistrats français sur l'indépendance de la justice.

Le 3 mars, devant la Cour de cassation, les avocats de la famille Halimi avaient demandé de retenir la responsabilité du jeune homme, compte tenu de son intoxication volontaire. A l'inverse, la défense et l'avocate générale avaient défendu la nécessité de maintenir une distinction entre l'ivresse, causée par la prise volontaire de psychotropes (alcool, cannabis...) et aux effets prévisibles, et le trouble psychiatrique inattendu – l'ivresse laissant une part de discernement, tandis que le trouble l'abolit.

«Aucun élément du dossier n'indique que la consommation de cannabis par l'intéressé [dont c'était la première crise] ait été effectuée avec la conscience que cet usage de stupéfiants puisse entraîner une telle manifestation» psychique, a répondu le 14 avril la Cour de cassation. Les dispositions de la loi actuelle «ne distinguent pas selon l’origine du trouble psychique ayant conduit à l’abolition de ce discernement», écrit la Cour, écartant l'hypothèse de retenir une responsabilité pour une faute antérieure au trouble délirant.

Sur la caractère antisémite, la Cour de cassation a validé les décisions antérieures, fondées sur les conclusions du docteur Daniel Zagury : selon le médecin-expert, Kobili Traoré avait été pris d'un «délire persécutif polymorphe, à thématique mystique», lors duquel «le simple préjugé» antisémite s'est transformé «en conviction absolue».