L’affaire UBS est jugée en appel jusqu’au 24 mars à Paris. La plus grande banque privée suisse avait été condamnée à payer l’amende record de 3,7 milliards d’euros pour démarchage illégal et blanchiment aggravé de fraude fiscale, au détriment de l’Etat français. L’accusation dénonce un gigantesque système d’évasion fiscale qui encourageait les clients français à transférer leurs actifs sur des comptes non déclarés, et souvent off shore, en Suisse. Au procès, les anciens directeurs ou cadres de la banque se défendent de toute action illégale, mais ce n'est pas l'avis des lanceurs d'alerte qui ont travaillé au plus près du géant financier suisse. Notre journaliste Katia Pecnik fait le point sur leurs dénonciations.
Les arguments de la défense d'UBS sont notamment réfutés par Bradley Birkenfeld, ancien gérant de fortunes chez UBS aux Etats Unis. En 2006, il s’est fait connaître pour ses révélations de pratiques frauduleuses de la banque privée. Le scandale qu’il a soulevé a mené à l’interdiction du secret bancaire suisse en 2009. Cela ne lui a pas évité une condamnation à 30 mois de prison pour fraude fiscale toujours en 2009, mais il a ensuite reçu 104 millions de dollars du fisc américain pour ses confessions. Pour lui, la banque suisse s’en serait finalement tirée à bon compte aux Etats Unis en échappant au procès et en n’écopant que d’une faible amende, grâce à ses appuis politiques.
Pendant ce temps, en France, les lanceurs d'alerte abandonnés
En France, Stéphanie Gibaud, ancienne responsable marketing d’UBS entre 1999 et 2008, finalement licenciée par la banque en 2012 est aujourd’hui abandonnée de tous, y compris de l’Etat français qu’elle a pourtant abondamment servi en fournissant aux douanes françaises, pour les besoins de l'enquête, tous les documents confidentiels issus de son poste de travail. Elle n’est pas citée à comparaître lors de ce procès qui s'est ouvert le 8 mars à Paris.
Aucun lanceur d’alerte n'est d'ailleurs appelé à la barre. Stéphanie Gibaud a son avis sur la question. «Où sont les 40 000 comptes des Français, pourquoi on n’en parle pas ? Ils ne veulent pas que je donne les noms des propriétaires des comptes car je les connais ! Parce que ça compromettrait l’Etat français. Il y a bien sûr des politiques», annonce-t-elle.
Qui sont ces fameux noms des détenteurs de comptes ? Le journaliste Antoine Peillon et le lanceur d’alerte Nicolas Forissier, ancien responsable d’audit de la banque UBS, les évoquent. Nicolas Forissier explique avoir repéré dans les années 2000 des opérations douteuses sur les comptes UBS de l’héritière de L'Oréal, Liliane Bettencourt. 20 millions d’euros faisaient d’incompréhensibles mouvements rapides entre fin 2005 et 2007, en pleine campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy. Le lanceur d’alerte transmet alors ses informations à la Direction du renseignement intérieur, la DCRI. A partir de novembre 2007, on retrouve d’ailleurs aux manettes de la gestion de fortune de Lilianne Bettencourt, Florence Woerth, la femme d’Eric Woerth, le trésorier de l’UMP et ministre du budget de Nicolas Sarkozy. Dès 2009, la DCRI, alors sous la direction de Bernard Squarcini, reçoit des notes sur la découverte d’un système d’évasion fiscale au sein d’UBS. Et l’incroyable se produit : Nicolas Forissier est placé sous surveillance et un agent chargé d'enquêter sur UBS à la DCRI est sommé d'arrêter. Les notes sur la fraude ne sont même pas transmises au procureur. Un scandale que dénonce en 2013 un collectif d’officiers de la DCRI dans un rapport. «Pourquoi la sous-direction K a-t-elle axé son travail de surveillance sur les cadres de l’UBS qui dénonçaient le système de fraude plutôt que sur ceux [qui étaient] à l’origine du système ?» questionne le rapport.
Ce retour de l’affaire UBS dans l’actualité sera-t-il l’occasion de mettre au jour de nouvelles zones d’ombre ?
Le parquet général a requis le 22 mars à Paris une lourde amende de deux milliards d'euros contre la banque suisse, jugée en appel pour blanchiment aggravé de fraude fiscale et démarchage bancaire illicite. Dans un réquisitoire à deux voix, au sixième jour d'audience, l'accusation a demandé à la cour d'appel de confirmer la culpabilité du géant bancaire, condamné en 2019 à 3,7 milliards d'euros d'amende, la plus lourde peine jamais prononcée en France dans une affaire de fraude fiscale.