Dans une ordonnance signée le 16 mars 2021 et dont l'AFP a eu connaissance le 19 mars, la juge d'instruction a ordonné un non-lieu pour le journaliste Taha Bouhafs, suspecté d'avoir incité des manifestants à investir en janvier 2020 le théâtre des Bouffes du Nord à Paris, où Emmanuel Macron assistait à une représentation.
Le vendredi 17 janvier 2020, au 44e jour de grève contre la réforme des retraites, le chef de l'Etat assistait, en compagnie de son épouse Brigitte Macron, à une représentation au théâtre parisien des Bouffes du Nord de La Mouche, de Christian Hecq et Valérie Lesort. Taha Bouhafs était également présent dans la salle.
A 20h58, le journaliste avait tweeté une courte vidéo et ce message : «Je suis actuellement au théâtre des Bouffes du Nord trois rangées derrière le président de la République. Des militants sont quelque part dans le coin et appellent tout le monde à rappliquer. Quelque chose se prépare… La soirée risque d'être mouvementée.»
Vers 22h, une trentaine de manifestants avaient pénétré dans le théâtre et perturbé la représentation avant d'être repoussés par les forces de l'ordre. Dans une ambiance «très tendue», selon les rapports de police, Emmanuel Macron avait été placé en sécurité au sous-sol.
D'après l'ordonnance, c'est sur «désignation» d'un membre du Groupe de sécurité de la présidence de la République que Taha Bouhafs avait été interpellé dans le théâtre après l'intrusion, puis placé en garde à vue, téléphone confisqué.
Le journaliste avait été présenté le lendemain à un juge qui ne l'avait pas mis en examen, comme le demandait le parquet à l'époque, mais placé sous le statut de témoin assisté.
Lors de l'interrogatoire, son avocat Arié Alimi avait présenté un tweet d'un autre compte, antérieur d'une dizaine de minutes à celui de son client, annonçant déjà la venue d'Emmanuel Macron au théâtre et appelant à se rassembler sur place. Deux autres tweets comparables ont été découverts depuis par les enquêteurs. «Au regard de ces éléments, et particulièrement des publications antérieures à celle de Taha Bouhafs sur les réseaux sociaux, ainsi que du contenu du tweet publié par ce dernier, il n'existe pas de charges suffisantes à l'encontre de Taha Bouhafs d'avoir commis les infractions visées», a estimé la juge dans son ordonnance.
Taha Bouhafs dénonce une «exploitation» de son téléphone portable
Elément central débattu au cours de l'enquête, le statut de journaliste de Taha Bouhafs, jugé par une partie de la profession incompatible avec certains engagements militants de cet homme de 23 ans. Suivie par plus de 100 000 personnes sur Twitter, cette nouvelle voix de l'antiracisme, co-organisateur d'une manifestation contre l'islamophobie en 2019, s'est fait connaître en filmant le collaborateur d'Emmanuel Macron Alexandre Benalla en train de frapper un jeune homme en marge de la manifestation du 1er mai. Il a depuis dénoncé des méthodes policières et a été concerné par plusieurs procédures judiciaires l'opposant aux forces de l'ordre.
La juge d'instruction avait d'abord refusé de lui rendre son téléphone, «instrument» de l'éventuelle infraction, d'autant que «des investigations [étaient] en cours notamment aux fins de confirmer ou d'infirmer la qualité de journaliste» de Taha Bouhafs. A l'époque des faits, il ne possédait pas de carte de presse, arguant devant la juge d'instruction d'une «phobie administrative». Il en est titulaire désormais.
Le téléphone, contenant selon Taha Bouhafs une «vidéo terrible» pour Emmanuel et Brigitte Macron qui «prennent leurs jambes à leur cou» lors de l'intrusion de militants, mais pas rendue publique à ce jour, lui a finalement été restitué.
C'est la liberté de la presse et de l'information qui sort victorieuse. L'Elysée va cependant devoir rendre des comptes
Dans son ordonnance, la juge explique que «compte tenu de la qualité de journaliste de Taha Bouhafs, les données extraites de [son] téléphone et placées sous scellés n'étaient pas exploitées». Mais celui-ci a au contraire dénoncé le 19 mars à l'AFP une «exploitation» de son téléphone portable et annoncé une plainte pour «violation du secret des sources».
Se félicitant d'être désormais «blanchi des accusations mensongères du palais présidentiel», il a annoncé en outre des plaintes «contre les services de l'Elysée pour la dénonciation calomnieuse qui a provoqué [son] interpellation, [son] placement en garde à vue et [son] défèrement». «C'est la liberté de la presse et de l'information qui sort victorieuse. L'Elysée va cependant devoir rendre des comptes», a ajouté son avocat Arié Alimi.