France

Manifestation en Martinique contre «l'impunité» dans l'affaire du chlordécone

La Martinique a connu le 27 février une importante manifestation contre le risque de prescription judiciaire dans l'affaire du chlordécone, un insecticide dangereux accusé d'avoir contaminé les sols de l'île et de la Guadeloupe.

Sous le mot d'ordre «Non à l'impunité», plusieurs milliers de personnes ont manifesté le 27 février en Martinique contre la menace de prescription dans le dossier du chlordécone, un insecticide accusé d'avoir empoisonné l'île et la Guadeloupe voisine où la mobilisation a démarré plus timidement.

«On n'avait jamais vu une manifestation aussi importante depuis 2009», à l'occasion de la grève générale contre la vie chère, s'est réjoui Francis Carole, président du Parti pour la libération de la Martinique (Palima) et conseiller exécutif chargé des affaires sanitaires de la collectivité territoriale.

Entre 10 et 15 000 personnes selon les organisateurs, 5 000 selon la police, ont manifesté sur l'île. «Les Martiniquais se sont mobilisés par milliers», a souligné ce dirigeant divers gauche, pour répondre «au crachat que nous a lancé l'Etat français, à savoir la menace de prescription» dans le dossier de cet insecticide qui a infiltré les sols de l'île pour des centaines d'années.

Ils nous empoisonnent, ils nous tuent

Tambours, «chachas» (maracas), conques de Lambi (coquillage symbole de l'île qui sert aussi d'instrument) et chants : la gravité du sujet n'a pas empêché le rassemblement de se dérouler dans une atmosphère festive. «Prescription dapré yo, di prefet a alé planté bannan» («D'après eux il y aura prescription, dites au préfet d'aller planter des bananes»), ont également entonné les manifestants en reprenant l'air d'une chanson du carnaval, annulé cette année en raison du Covid-19.

Forte prévalence de cancers de la prostate

L'insecticide a été autorisé entre 1972 et 1993 dans les bananeraies des Antilles, polluant eaux et productions agricoles, alors que sa toxicité et son pouvoir persistant dans l'environnement étaient connus depuis les années 60.

«Ils nous empoisonnent, ils nous tuent», proclame une banderole de la CGT Martinique tenue par deux femmes vêtues de rouge, pendant que d'autres avaient opté pour le rouge, vert ou noir, couleurs du drapeau adopté par une majorité de Martiniquais.

Plus de 90% de la population adulte en Guadeloupe et Martinique est contaminée par le chlordécone, selon Santé publique France, et les populations antillaises présentent un taux d'incidence du cancer de la prostate parmi les plus élevés au monde.

Sur une pancarte, un manifestant a calculé «la facture» martiniquaise pour l'Etat français : «plafond annuel de sécu [41 136 euros] X population concernée [370 000 habitants] X 500 ans = 7,6 milliards d'euros».

Plusieurs associations de Martinique et de Guadeloupe ont été auditionnées les 20 et 21 janvier par les juges d'instruction parisiens en charge de l'affaire. Dès 2006, elles avaient déposé plainte contre l'empoisonnement de leurs îles au chlordécone. Mais lors de cette audition, les juges d'instruction chargés de l'affaire depuis 2008 ont expliqué aux plaignants qu'il pourrait y avoir prescription des faits et que le dossier pourrait déboucher sur un non-lieu. Une option qui a heurté l'opinion et conduit à cette grande mobilisation.

En Guadeloupe, 300 personnes, selon la CGT locale, syndicat organisateur, ont participé à une manifestation simultanée à Capesterre-Belle-Eau.

A Paris, lieu de la troisième manifestation simultanée, un peu plus de 200 personnes se sont rassemblées place de la République. «L'ensemble de la société française devrait prendre fait et cause pour qu'il n'y ait pas de prescription», a déclaré à l'AFP Toni Mango, responsable du Kolèktif Doubout Pou Gwadloup, pour qui la menace de prescription va servir de catalyseur à la mobilisation. «C'est un premier appel, une première manifestation depuis le Covid et on ne s'arrêtera pas là».