Le 1er février, à la base aérienne d'Orléans, le ministre des Armées Florence Parly, le chef d'Etat-Major des armées et général d'armée François Lecointre et le directeur général de la sécurité extérieure (DGSE) Bernard Emié se sont exprimés devant des caméras qui diffusaient leurs discours en direct sur les réseaux sociaux.
C'était notamment l'occasion d'entendre une des rares prises de parole publiques du N°1 de la DGSE. Ce discours levait «(un peu) le voile», comme le propose Franceinfo, sur certaines opérations du service de renseignement français liées aux théâtres d'actions extérieures que sont le Levant et le Sahel. Le sujet prioritaire était plus précisément le contre-terrorisme dans ces deux régions du monde où la France lutte contre des groupes islamistes armés radicaux.
Le patron de la DGSE a exposé son propos, photographies à l'appui, en décrivant quelques personnalités ciblées par les armées françaises et plus spécifiquement par la direction dont il a la charge. Ce fut aussi l'occasion pour Bernard Emié de rappeler que si certaines de ces cibles avaient été neutralisées par la France, d'autres couraient toujours. Et bien que le chef d'une partie des espions français se félicite de certains succès et de coups durs portés aux ennemis de l'Hexagone, il rappelle aussi qu'au Levant, «la bête bouge encore, malgré les efforts incessants et les combats très durs.»
Et de décrire, en Afrique de l'Ouest cette fois, une extension du djihadisme venu de Guinée et se dirigeant vers la Côté d'Ivoire et le Bénin, tandis que la lutte continue au Yémen, en Libye, en Somalie, au Mozambique et, toujours, en Afghanistan.
A Franceinfo, Bernard Emié illustre encore plus précisément son propos en légitimant, d'une part, l'emploi de sa direction : «Nous [la DGSE] transmettons aux armées les renseignements très précis sur la manière de vivre et la localisation des chefs terroristes, les puits qu'ils utilisent, les oueds et les adrars qu'ils fréquentent»... Et en légitimant, d'autre part, l'action des armées françaises : «L'objectif assumé des terroristes sahéliens est de mener des attentats en Occident, et en Europe en particulier. Le 11 septembre 2001 a été préparé dans une vallée afghane. Le 13 novembre 2015 a été conçu dans les rues de Raqqa.»
Le message est clair : se retirer de ces zones de combat reviendrait de facto à laisser le champ libre aux terroristes islamistes qui à l'avenir voudront frapper à nouveau la France, que ces actions soient fomentées au Levant ou en Afrique... L'hôtel de Brienne a-t-il ressenti le besoin de repréciser ces conditions ? Faut-il y voir le résultat de la pression appliquée actuellement sur la légitimité de la présence française en Afrique notamment ?
Un sondage Ifop-Le Point avançait le 12 janvier que 51% des Français n'étaient plus favorables au maintien de l'opération Barkhane. Un score qui n'a peut-être pas été aidé par l'affaire de la frappe de Bounti au Mali, dans laquelle les armées françaises sont accusées sur place de bavure, ce qu'elles démentent fermement, assurant que des djihadistes étaient visés, et non des civils participant à un mariage. Deux avions de combat Mirage 2000 ont, en tout cas, fait 19 morts et huit blessés, selon Franceinfo.
Un autre sujet d'embarras pour les forces de sécurité françaises, et plus particulièrement pour la DGSE, c'est la sombre affaire de projet de meurtre présumé à Créteil (Val-de-Marne) dans laquelle ont trempé deux agents du service action de la DGSE affectés à la surveillance du site de Cercottes (Loiret). Le 24 juillet 2020, les deux compères ont été interpellés devant la résidence d'une coach en développement personnel qui dirige une école dans ce domaine.
Depuis le commencement de cette affaire, la DGSE lutte pour se dissocier de ces deux «pieds nickelés», ainsi que les a qualifiés un porte-parole de la direction, mais l'histoire colle au train de la prestigieuse institution. D'ailleurs, un article de Marianne paru le 1er février est à nouveau venu rappeler cet abracadabrant épisode de polar au bon souvenir des lecteurs de l'hebdomadaire, ajoutant au passage une connexion entre l'affaire et la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), ainsi que la franc-maçonnerie des Hauts-de-Seine.
Les articles de presse parus au sujet de cette débâcle sont pourtant unanimes : la DGSE elle-même ne serait aucunement impliquée dans cette affaire. Mais d'un point de vue médiatique, le mal est fait : deux militaires de la fameuse base de Cercottes sont personnellement mouillés.
Fallait-il sortir le directeur du plus prestigieux organe de renseignement français de son habituelle réserve pour gommer les revers de fortune médiatiques des armées françaises ? En tout état de cause, le gouvernement se trouve actuellement dans la situation pénible de devoir justifier un engagement coûteux au Sahel. Un engagement que les Français voient sous un jour de plus en plus contrasté au fil des années qui nous séparent des attaques terroristes perpétrées par des commandos organisés, comme en 2015.
Antoine Boitel