France

Eoliennes au large de Dunkerque : vent de fronde dans le Nord et chez les Belges

Les écologistes et le maire macron-compatible de Dunkerque entendent installer des dizaines d'éoliennes en mer à 10 kilomètres de la ville. Un projet très critiqué par des habitants, le député local et... le vice-Premier ministre belge. Explications.

Dunkerque (Nord) sera-t-elle au cœur d'une crise diplomatique entre la France et la Belgique ? Au centre du débat : l'installation d'un parc éolien offshore (en mer) à une dizaine de kilomètres des côtes de Dunkerque dans le département du Nord. Dans le projet, il est prévu 46 éoliennes pour une mise en service en 2026 et un coût estimé à un milliard d'euros. Il sera par ailleurs mené par un consortium de trois entreprises dont EDF. Un chantier soutenu par le maire divers gauche Patrice Vergriete (soutenu par La République en marche et Europe Ecologie Les Verts lors des dernières municipales) et les écologistes mais les Dunkerquois semblent l'entendre autrement. Les éoliennes sont devenues un sujet brûlant... ou plutôt tempêtueux.

La mobilisation implique notamment des habitants qui ont lancé une pétition, le député de la 13e circonscription du Nord Christian Hutin (Mouvement des citoyens – MDC) et... la Belgique, elle aussi en colère contre ces installations.

Le vice-Premier ministre belge, ministre de la Justice et ministre de la Mer du Nord, Vincent Van Quickenborne, a en effet alerté dans un courrier le président de la commission particulière du débat public. Dans cet écrit, relayé par La Voix du Nord, il assure soutenir l'éolien mais conteste celui au large de Dunkerque avec une kyrielle de récriminations allant de la violation de «la Convention des Nations unies sur le droit de la mer» à «une grave atteinte à la souveraineté nationale belge». Ces éoliennes devraient effectivement être «installées jusqu’à la frontière franco-belge», avec une distance de sécurité «située dans les eaux territoriales belges».

Les reproches sont nombreux et le vice-Premier ministre conteste également la hauteur des futurs mâts : «Elles pourraient atteindre 300 m de haut [...] il ne peut être établi avec certitude que les communications en mer ne seront pas perturbées, rendant ainsi la sécurité du trafic maritime incertaine [...] Ni les autorités françaises, ni EMD [société de projet Eoliennes en mer de Dunkerque] ne répondent à la demande d’information et de coopération pour un projet qui est en développement à la frontière belge. La Belgique réitère donc sa demande d’être étroitement associée aux études de sécurité.»

Et ce n'est pas terminé, la Belgique est d'autant plus furieuse que la hauteur de ces éoliennes compromettrait l'activité d'une base aérienne militaire dans la région flamande. Et le représentant de l'Etat belge de pester contre la «pollution visuelle» qu'entraînerait ces éoliennes menaçant l'attractivité touristique et économique des zones belges frontalières. Enfin, il prévient que le parc aura possiblement un impact environnemental sur la zone Natura 200 belge «Vlaamse Banken», et la zone de protection des oiseaux.
Va-t-on par voie de conséquence vers une crise diplomatique avec l'Etat belge au nom de la promotion des énergies renouvelables ?

On n'aurait pas dû faire un coup comme ça à un pays ami

Interviewé par nos soins, le député Christian Hutin comprend les inquiétudes et la colère de l'Etat belge, «par rapport à un projet qui n'a pas été concerté». Il estime que les relations avec la Belgique restent «excellentes» mais que la France «n'aurait pas dû faire un coup comme ça à un pays ami», sans leur demander leur avis. Christian Hutin regrette ainsi qu'aucune concertation européenne n'ait eu lieu sur le sujet, la France «imposant de fait sur le littoral belge, cette vision de 46 éoliennes».

Des éoliennes qui auront un impact négatif sur le tourisme, l'environnement et les poissons ?

Christian Hutin fait donc partie de ceux qui demandent un référendum local sur le sujet. Une pétition en ligne lancée par un professeur de sport de Dunkerque réclame un scrutin. Elle a été signée numériquement au 29 janvier par plus de 4 300 personnes et est soutenue par Les Républicains, le Rassemblement national et une partie de la gauche. Car si ce projet a certes nécessité la tenue d'un débat public, le député rappelle que celui-ci «est souvent préempté par un certain nombre de spécialistes, des leaders d'opinion ou des forces d'influence».

Ces éoliennes n'apportent pas grand chose, ni au niveau énergétique, ni au niveau patrimonial

«En général, la population et la majorité silencieuse ont beaucoup de mal à s'exprimer dans un débat public», assure le parlementaire qui sourit quand l'édile Patrice Vergriete estime, pour sa part, que le débat public a permis au public de s'exprimer (dans des propos rapportés par La Voix du Nord). «Il ne faut pas beaucoup réfléchir pour penser qu'en période de pandémie, personne ne peut réellement se réunir, partager, discuter, combattre pour des idées, un débat public c'est ridicule», martèle Christian Hutin qui conteste d'ailleurs l'utilité d'un tel parc : Ces éoliennes n'apportent pas grand-chose, ni au niveau énergétique, ni au niveau patrimonial car pour ce qui est de la beauté du site, franchement... on peut y réfléchir avec l'équivalent de 46 tours Eiffel au large de Dunkerque.» Ces 46 éoliennes auront en effet une puissance maximale totale de 600 MW, soit deux fois moins que la plupart des réacteurs nucléaires français, avec une production électrique qui sera conditionnée à un vent suffisant mais pas trop fort (approximativement 110 km/h).

Pour le maire Patrice Vergriete, il faut que Dunkerque «s'adapte»

Contacté par RT France, le maire Patrice Vergriete n'a pas répondu à nos demandes d'interview. Néanmoins, lors de ses prises de parole, il a maintenu qu'il fallait que Dunkerque «s'adapte» et «accepte le changement» pour éviter que Dunkerque disparaisse «sous les eaux».

Pour lui, ce projet est «nécessaire» même s'il confesse qu'il aurait souhaité que «la mer reste comme elle est». «Mais qu'est-ce qu'on veut laisser comme planète à nos enfants ?», questionne-t-il auprès de Delta FM, pour justifier ces implantations, insistant sur le fait que l'industrie de l'éolien était «une filière économique qui émergeait». 

Se décrivant comme un «défenseur de l'indépendance énergétique de la France», le député Christian Hutin préférerait quant à lui que Dunkerque se préoccupe en priorité de la centrale nucléaire de Gravelines, qui fait partie de la Communauté urbaine de Dunkerque (CUD). Sur ce site est en effet prévu, sauf décisions contraires de l'Etat, un projet d'installation de réacteurs de troisième génération (EPR). Il est vu par Christian Hutin comme un atout pour la «viabilité économique de la CUD». Ce «gaulliste de gauche» rappelle que l'actuelle centrale permet déjà à la Belgique et à l'Allemagne de s'alimenter en électricité à certaines périodes de l'année. Quant à l'éolien, il reste sceptique sur les bénéfices électriques pour nos voisins.

En juin dernier, RT France avait interrogé le docteur-ingénieur, spécialisé en génie-physique Jacky Ruste sur l'éolien offshore. Si l'ingénieur reconnaît que l'éolien offshore a un rendement légèrement meilleur que sur terre (avec un facteur de charge malgré tout inférieur à 40% sur les parcs existants en mer du Nord, selon une étude de 2018), il alerte sur le dégât écologique. En effet, cet ancien ingénieur de recherche senior à EDF s'inquiète du bétonnage des fonds marins mettant en péril la faune marine et par conséquent la pêche. Christian Hutin avertit que c'est un risque certain pour les pêcheurs au large de la ville du Nord avec des «ressources de poissons, comme les soles de Dunkerque, qui risquent de disparaître».

Autre problème écologique pour Jacky Ruste, «des anodes» composées d'aluminium seront installées sur les éoliennes offshore afin «de limiter la corrosion». La conséquence pour cet ingénieur ? «Les futures centaines d'éoliennes en mer rejetteront des milliers de tonnes d’alliage d’aluminium chaque année. Et cet aluminium se retrouvera dans les poissons.»
Et Dunkerque est loin d'être la seule ville où la fronde anti-éoliennes offshore prend de l'ampleur. Au large d'Oléron (Charente-Maritime), dans une zone Natura 2000, un projet similaire soutenu par le Premier ministre Jean Castex et prévu pour 2028 est aussi l'objet de préoccupations, notamment par les défenseurs de La Ligue de protection des oiseaux.

Bastien Gouly