La polémique commençait à enfler. «Face au constat de l'impossibilité d'une ouverture de l'ensemble des acteurs de la vente de livres» dans le cadre du reconfinement des commerces «non essentiels», Fnac-Darty a annoncé ce 30 octobre fermer «l'ensemble des rayons culture» des magasins Fnac pour les 15 prochains jours.
Cette fermeture, qui entrera en vigueur à compter du 31 octobre au matin, a été décidée «dans un souci de responsabilité», selon les termes de son directeur général Enrique Martinez dans un communiqué, alors que de nombreux acteurs culturels et politiques regrettaient que les librairies doivent rester fermées.
Le gouvernement a par ailleurs annoncé ce même jour que les rayons livres et culture des grandes surfaces alimentaires et spécialisées seraient «momentanément fermés dès ce soir», par «souci d'équité entre grandes surfaces et les librairies indépendantes».
En effet, lors du premier confinement, les hypermarchés – qui vendent des livres – étaient restés ouverts. Cette fois, ce sont également les Fnac qui continueront de fonctionner. Une concurrence jugée déloyale par de nombreux petits libraires contraints à la fermeture pendant le confinement. Une situation qui pourrait s’avérer mortelle pour nombre d’entre eux : même s’ils pourront pratiquer le «click & collect» (le retrait en magasin de commandes réalisées sur internet ou par téléphone), le manque à gagner est colossal.
En outre, les organisations professionnelles d’auteurs sont unanimes : le reconfinement annoncé le 28 octobre par Emmanuel Macron va plonger toute la profession dans «un abîme dont elle aura du mal à s’extirper», selon Livres Hebdo. Un nouveau coup dur d'autant plus difficile à accepter que la direction de Fnac-Darty avait obtenu l'ouverture de ses magasins pendant le confinement au prétexte qu'ils vendent «des ordinateurs, des téléphones, de l'électroménager, tout ce qu'il faut pour télétravailler», comme le rapporte Europe 1.
Un gouvernement fort avec les faibles et faible avec les forts
Une fronde commençait même à s'organiser chez des libraires indépendants, à l'image de Samuel Chauveau, gérant de la librairie de BD «Bulle» au Mans. L'homme avait expliqué dans une vidéo postée sur Facebook son choix de désobéir aux consignes gouvernementales et de rester ouvert pendant le confinement, la décision du gouvernement de fermer les librairies ayant selon lui été «la goutte d'eau». «Comme un coup de tonnerre, nous avons appris que la Fnac restait ouverte», s'insurge-t-il. «Ce matin nous étions une centaine dans la rue, et nous avons devant les médias, ouvert la librairie, en accueillant 3-4 personnes à la fois, bien évidemment en respectant les mesures sanitaires», a raconté le libraire joint par l'AFP.
Les éditions Libertalia dénoncent pour leur part sur Twitter «un gouvernement fort avec les faibles et faible avec les forts» et mettent en avant la vente à emporter.
De nombreux soutiens dans le monde de la culture
François Busnel, le présentateur de La Grande librairie, a annoncé le 30 octobre le lancement d'une pétition pour que le gouvernement revienne sur sa décision et ouvre les librairies, comme le rapporte BFMTV. Une initiative qu'il explique en ces termes : «C'est l'endroit où vous pouvez trouver de l'espoir, trouver de la consolation. Trouver également ce qui vous dérange, ce qui vous inquiète, ce qui vous fait progresser, ce qui vous fait penser par vous-même.»
La journaliste Anne Sinclair s'est également exprimée en faveur des librairies – qui selon elle constituent des commerces essentiels, «au moins autant que les pressings» – et de leur ouverture pendant le confinement. Sinon, «c’est la prime à Amazon, Netflix and co», argue-t-elle. «Je croyais que la France était un pays de culture...», conclut la fondatrice du Huffington Post France.
Le dessinateur du Chat du Rabbin Joan Sfar a publié sur Instagram un dessin sur lequel on peut voir le célèbre félin se plaindre qu'on a «élu des gens qui considèrent que les livres ne font pas partie des biens essentiels».
Riad Sattouf, auteur de L'Arabe du futur, a quant à lui publié un dessin destiné au gouvernement intitulé «levez la main si vous voulez que les librairies restent ouvertes».
Petite lueur d'espoir pour les libraires néanmoins : le ministre de l'Economie Bruno Le Maire a assuré sur France Inter que «dans quinze jours, nous regarderons où nous en sommes pour tous les commerces, pas uniquement les libraires», afin d'envisager une éventuelle réouverture. En attendant, en termes de concurrence déloyale, Amazon restera sans doute une nouvelle fois le grand vainqueur du confinement.