Selon une procédure inhabituelle mais prévue par la loi, l'association BarakaCity a été dissoute en conseil des ministres le 28 octobre pour ses liens avec la mouvance islamiste radicale.
Pour ce faire, le gouvernement se fonde sur l'article L.212-1 du code de la sécurité intérieure qui précise notamment que sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait qui «soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence» ou encore «qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger.»
Dans l'arrêté de dissolution qui a été diffusé sur les réseaux sociaux, on peut lire les raisons qui ont motivé cette décision du gouvernement. Il est notamment mentionné que le créateur de l'association, Idriss Yemmou Sihamedi «s'est rendu personnellement en Syrie en zone occupée par l'Etat islamique en septembre 2018» et qu'il «entretient des relations avec d'autres associations appartenant à la mouvance islamiste radicale».
Sont également évoqués son refus de condamner les agissements de Daesh sur un plateau de télévision en 2016 mais également les propos qu'il a tenus à plusieurs reprises sur les réseaux sociaux à propos des journalistes de Charlie Hebdo, par exemple en septembre 2020 : «Puisse le Seigneur augmenter à 2 000 degrés les flammes de leurs tombes».
On trouve également des détails ayant trait à la perquisition qui s'est déroulée au domicile d'Idriss Yemmou Sihamedi, en mai 2017 : «A la suite d'une visite domiciliaire [...] il est ressorti de l'exploitation et de l'analyse des ordinateurs saisis [...] la présence de matériel de propagande islamiste [...] cinq anasheed [chants islamiques utilisés par les combattants djihadistes], ainsi qu'un exemplaire de la revue Dar al Islam, revue officielle produite par [...] un des organes médiatiques officiels de l'Etat islamique portant sur les attentats de novembre 2015 à Paris et présentant ses auteurs comme des héros.»
Dissolution possible «dans des cas parfaitement exceptionnels»
Interrogé par FranceInfo, le professeur de droit public, Serge Slama explique qu'il s'agit d'une procédure exceptionnelle : «Il ne faut pas avoir l’idée que c’est normal. C'est une anomalie que le gouvernement puisse dissoudre des associations et il ne peut le faire que dans des cas parfaitement exceptionnels.»
Et le média public de rappeler que ce «cadre précis avait obligé le gouvernement à faire machine arrière en 2019» faute d'éléments suffisants après avoir annoncé la volonté de dissoudre l'association Génération identitaire.
FranceInfo précise toutefois qu'Emmanuel Macron souhaite élargir les motifs de dissolution, ce qui devrait être l'un des points de la loi contre les séparatismes annoncée pour la fin de l'année.
La dissolution entraîne-t-elle une perte de renseignement ?
D'un point de vue purement opérationnel, un policier de la préfecture de police de Paris, interrogé par RT France a toutefois fait valoir que la dissolution d'une association telle que BarakaCity pouvait également avoir un effet contreproductif : ce qui était fait au grand jour pourrait être moins observable en repassant dans l'ombre. Et d'analyser : «Il est probable qu'ils montent une autre organisation non-gouvernementale.» Cette même source déplore un coup de communication du gouvernement : «Ils veulent pouvoir dire "tenez, on a fait ça."»
En fermant un lieu de culte, on complique la tâche des services de renseignement
Le 21 octobre, dans un tract, le syndicat VIGI-MI qui comprend plusieurs policiers du renseignement dans son bureau, prenait une position similaire après l'attaque islamiste de Conflans-Sainte-Honorine et préconisait d'«abandonner les fermetures de lieux de culte».
Plus loin, le syndicat argumentait ainsi : «Ce ne sont pas les bâtiments qui commettent des attentats, mais les individus qui y sont présents. En fermant un lieu de culte gangréné par des thèses faisant l'apologie du terrorisme, on complique la tâche des services de renseignement, qui doivent à nouveau rechercher les lieux de rendez-vous de ces personnes potentiellement dangereuses.»
En tout état de cause, le président de l'association Idriss Sihamedi a pour sa part décidé le 28 octobre de demander officiellement l'asile politique au président turc Recep Tayyip Erdogan. Il a notamment fait état de menaces de mort à son encontre et son avocat a déclaré auprès de l'AFP : «Nous vivons les pires heures de notre République en termes de respect des libertés publiques. Au travers de cette décision, on prend la déclaration des droits de l'Homme et du citoyen et on la met à la poubelle. On est dans une violation de la Constitution.»
BarakaCity se reconstituera-t-elle ailleurs ou sous plusieurs autres entités à l'instar du groupuscule identitaire Bastion social que FranceInfo cite à titre d'exemple ? A ce sujet, le média a interrogé Thierry Michels, député du Bas-Rhin où était implanté le groupuscule en question : «[La dissolution] est symbolique, dans le sens où effectivement elle donne un signe par rapport à ce qui est accepté ou non par les pouvoirs publics et la République. Elle a un impact pratique parce qu’elle rend quand même plus difficile le fonctionnement. Malheureusement les réseaux se reconstituent parce qu’on n’arrive pas à faire changer d’avis ces personnes. Je dirais que c’est un combat sans fin.»