France

Le retour des néonicotinoïdes validé par l'Assemblée nationale au terme de débats houleux

L'Assemblée nationale a validé le retour controversé des néonicotinoïdes au terme de débats houleux. Alors que le gouvernement vole au secours de l'industrie betteravière, les opposants au texte alertent sur le risque écologique.

Au terme de vifs débats, l'Assemblée nationale a voté et adopté la disposition clé sur la réintroduction des néonicotinoïdes dans la nuit du 5 au 6 octobre. Les députés ont ensuite validé l'ensemble du texte à l'occasion du vote solennel du 6 octobre, qui a eu lieu après la séance des questions au gouvernement. Cette disposition doit permettre l'utilisation de ces pesticides dès 2021 et potentiellement jusqu'en 2023 en s'appuyant sur le règlement européen sur les phytosanitaires.

L'objectif édicté par le gouvernement est de sauver la filière sucrière de la betterave touchée par la prolifération d'un puceron vert vecteur d'une maladie qui affaiblit les betteraves : la «jaunisse». La réintroduction de ces néonicotinoïdes est censée soutenir les rendements sucriers de cette filière, mais ce type de pesticides est accusé d'être un tueur d'abeilles. C'est d'ailleurs à ce titre qu'ils furent interdits en 2018. «C'est un texte difficile, important, qui ne veut pas opposer économie et écologie», selon le ministre de l'Agriculture, Julien Denormandie.

Vifs débats à l'Assemblée nationale

Cette réintroduction est fortement décriée sur les bancs de l'assemblée jusqu'au sein de la majorité. Seuls 175 des 271 membres du groupe macroniste ont voté en faveur du texte, 32 députés LREM ont voté contre et 36 se sont abstenus, rapporte l'AFP. 

Parmi les opposants au texte, la députée LREM Sandrine Le Fleur n'a pas voté en faveur de la disposition de réintroduction arguant que «la diversité des exploitations et leur résilience économique est une solution pour sortir de cela».

«La souveraineté alimentaire […] c'est contrôler la production pour qu'elle puisse alimenter le marché intérieur, or aujourd'hui, la moitié de la production de betterave est exportée et je crois qu'il faut remettre ça dans le contexte», a conclu l'ancienne agricultrice. 

Hors des murs de l'Assemblée, l'ancien ministre de l'Ecologie Nicolas Hulot avait lui aussi appelé à ne pas voter la loi de réintroduction, estimant que «prolonger leur usage pour la filière betterave n’est pas la solution». 

Le député de l'Essonne et ancien membre du groupe LREM à l'Assemblée nationale Cédric Villani n'a pas soutenu la disposition, moquant «une possible perte à 15 %» de productivité, «en vrai une perte incertaine». «Il s'agit de faire payer nos déboires économiques à l'environnement», a regretté le mathématicien. 

Le syndicat Confédération paysanne, écologiste, a souhaité «interpeller» les députés en partageant sur son Twitter dix bonnes raisons de «s'opposer à cette loi». 

Le président du groupe La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon s'est lui aussi montré très véhément face à la réintroduction des néonicotinoïdes. «Ca ne doit pas être la politique du XXIe siècle» a dénoncé le député des Bouches-du-Rhône avant de citer l'actuelle ministre de la Transition écologique, Barbara Pompili, qui en 2016 avait déclaré que «les néonicotinoïdes [étaient] extrêmement dangereux». L'ancien candidat à la présidentielle a prévenu que dans ces conditions et en cas de réintroduction de ces pesticides, il ferait un «signalement devant la Haute cour de Justice». «C'est de sang-froid que des gens vont être mis en péril par cette décision», a conclu le député insoumis. 

L'idéal c'est de sortir des néonicotinoïdes

«Le courage, c'est d'aller à l'idéal et de comprendre le réel», lui a répondu le ministre de l'Agriculture Julien Denormandie, citant Jean Jaurès. «L'idéal c'est de sortir des néonicotinoïdes», a précisé le ministre. 

Au moment de défendre son projet de loi, le ministre a évoqué une «situation exceptionnelle et une impasse à laquelle nous devons apporter une réponse pour la filière betterave, une filière d'excellence française qui représente 46 000 emplois». Julien Denormandie a ensuite indiqué ne pas vouloir importer «du sucre polonais, allemand ou belge», cultivé dans des conditions «moins-disantes environnementalement», préférant réaliser la «transition agroécologique avec la filière française».

«Le risque qu'on prend si on ne fait rien, c'est une casse monumentale», a abondé le député du Val-de-Marne Frédéric Descrozaille. 

«Cette motion de rejet qui nous est présentée, c'est faire mourir notre industrie sucrière, c'est faire produire notre sucre à l'étranger, importé de Pologne, d'Allemagne et du Brésil et eux utiliser les néonicotinoïdes», a justifié quant à elle la députée LREM Claire O'Petit pour défendre le projet. 

Le député de l'Aisne Julien Dive, membre du groupe Les Républicain qui soutient le texte de loi du gouvernement, a estimé que la disposition était une «réponse de moindre mal». Il faut «autoriser de manière dérogatoire, avec réduction des doses, dans un délai court et avec un enrobage» l'utilisation de cette substance, a estimé le député d'opposition. 

En outre, le groupe LREM a introduit des amendements qui prévoient la création d'un conseil de surveillance et l'interdiction d'implanter des cultures attirant des abeilles sur les parcelles où ont été utilisés des néonicotinoïdes afin de limiter l'impact environnemental.

Charles Demange