France

Covid-19 : le conseil scientifique, au cœur du conflit entre Paris et Marseille ?

La décision de la mairie de Marseille de se doter d'un organisme similaire au niveau municipal met en lumière les critiques dont est l'objet le conseil scientifique depuis le début de la crise sanitaire. Quel rôle a-t-il joué jusqu'à présent?

L'ancienne candidate aux municipales et deuxième adjointe à la mairie de Marseille, Samia Ghali, a lancé un pavé dans la mare ce 5 octobre en annonçant la prochaine création d'un conseil scientifique propre à sa ville.

L'idée de l'élue est simple, permettre à la municipalité de «gérer au mieux les problèmes de santé publique», sans avoir à se plier aux décisions prises à Paris. Il faut dire que les dernières mesures restrictives anti-coronavirus, dont la fermeture des bars et restaurants dans la citée phocéenne, ont été vécues comme une véritable «punition collective» par les responsables marseillais.

Si cette annonce entérine la guerre ouverte entre Paris et Marseille sur la gestion de la crise sanitaire, le conflit ne date pas d'hier. Et le conseil scientifique s'y trouve au cœur. Installé en mars par le ministre de la Santé Olivier Véran pour assister l’exécutif dans la gestion de l'épidémie, le conseil scientifique multiplie depuis les recommandations. Celles-ci n'ont pas de pouvoir contraignant, mais le gouvernement s'appuie largement dessus pour prendre ses décisions.

Ainsi, c’est ce conseil qui a incité le gouvernement à maintenir les élections municipales. C’est ce même conseil qui a été sollicité peu avant l’allocution d’Emmanuel Macron pour la tenue du second tour. C’est encore lui qui a orienté le gouvernement vers la voie du confinement. La fermeture des écoles ? Ne pas contrôler les frontières ? Toujours le conseil scientifique. C'est également lui qui avait recommandé que le port du masque devienne «systématique» dans tous les lieux publics, dès le 20 avril. En somme, l'immense majorité des mesures contraignantes décidées par l'exécutif ont été approuvées par cet organe d'experts.

Raoult : «Rien de fiable scientifiquement là-dedans»

Présidé par le professeur Jean François Delfraissy, le conseil scientifique était constitué à sa création de 10 autres experts venant «de champs disciplinaires complémentaires», selon le ministère de la Santé. En effet, outre des spécialistes des maladies infectieuses tels que l’épidémiologiste Arnaud Fontanet, le virologue Bruno Lina ou encore l’infectiologue Denis Malvy, le conseil compte également... une anthropologue, en la personne de Laetitia Atlani Duault, un sociologue, Daniel Benamouzig et un modélisateur, Simon Cauchemez.

Voilà peut-être ce qui a poussé le plus médiatique de ses membres, le professeur Didier Raoult, à en claquer la porte avec fracas en mars dernier. Depuis, il a évoqué son départ à plusieurs reprises. Et c'est peu de dire que l'épidémiologiste ne porte pas dans son cœur l'organisme qui murmure à l'oreille du gouvernement.

«Ce n'est pas un conseil scientifique !», avait-il ainsi déclaré devant une commission d'enquête parlementaire en juin, considérant que ce n'était ni à lui, ni aux autres membres de décider s'il fallait confiner ou non la population, ou encore prôner le port du masque dans l'espace public. Celui qui affirme être un «homme de données» aurait en effet préféré se concentrer sur la recherche d'un traitement avec ses compères, plutôt que sur des décisions régaliennes.

D'autant que selon lui, la méthode dans la prise de décision est très discutable, comme il l'avait confié à Paris Match : «On ne peut pas mener une guerre avec des gens consensuels. Le consensus, c’est Pétain. Insupportable. On ne peut pas décider de cette manière. Ces personnes ne savaient pas de quoi elles parlaient ! Et chacun poussait ses billes en avant. Il fallait faire plaisir, représenter l’Institut Pasteur, l’Inserm, etc. Il n’y a rien de fiable scientifiquement là-dedans.»

Sous-entendant par ailleurs l'existence de conflits d'intérêts «au sein du Conseil scientifique ou dans la périphérie», le professeur Didier Raoult avait vivement fait réagir l'organisme, dont des membres avaient dénoncé dans un courrier adressé à l’Assemblée des propos «infamants et dépourvus de fondements» et qui relevaient, selon eux, de la «calomnie».

En continuant de s'appuyer sur ses recommandations, notamment pour les dernières mesures restrictives qui ont tant fait parler à Marseille, le gouvernement a en tout cas tranché entre le conseil scientifique et son dissident Didier Raoult. De quoi pousser ce dernier à accepter un rôle dans le futur conseil scientifique de Marseille voulu par la mairie ?