Le ministère de l'Agriculture a annoncé le 6 août vouloir autoriser les agriculteurs à utiliser dès 2021, «dans des conditions strictement encadrées» et jusqu'en 2023 maximum, des semences de betteraves enrobées de néonicotinoïdes. Auparavant opposée à ces insecticides controversés, la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili soutient désormais la dérogation faite aux producteurs de betteraves.
Ces insecticides, qui s'attaquent au système nerveux des insectes, et donc des pollinisateurs comme les abeilles, avaient été interdits de tout usage phytosanitaire en septembre 2018 mais les planteurs de betteraves réclamaient leur usage pour s'attaquer aux pucerons verts, vecteurs du virus de la jaunisse qui fait s'effondrer les rendements cette année.
Barbara Pompili, avait notamment défendu en juin 2016, dans une loi, en tant que secrétaire d’Etat chargée de la Biodiversité, son interdiction. Elle expliquait alors, devant les députés, que les néonicotinoïdes seraient totalement interdits à partir de 2020. «Quoi qu'il arrive, en 2020, c'[est] fini pour tous les néonicotinoïdes», arguait-elle justifiant alors de la date couperet de 2020 pour éviter justement toute dérogation possible : «Si on commence à dire : "on interdit là où il y a des alternatives mais on fait des dérogations et on les laisse courir dans le temps", on sait très bien que ça, c'est la porte ouverte au fait qu'il y ait certains néonicotinoïdes qui ne soient jamais interdits.»
Dans une autre vidéo, datée de mars 2016, à l'Assemblée nationale Barbara Pompili expliquait d'ailleurs que les «études scientifiques s'empil[aient]» pour dénoncer l'usage de ces pesticides : «Les néonicotinoïdes sont extrêmement dangereux [...] pour notre santé [...] pour notre environnement, ils contaminent les cours d'eau, la flore, ils restent dans les sols très longtemps.» «Nous avons une responsabilité vis-à-vis de nos enfants», concluait-elle même.
Quatre ans après et de nouveau au gouvernement, l'ancienne cadre d'Europe Ecologie Les Verts semble assumer la volte-face et fait bloc autour du gouvernement. Dans une longue explication sur Twitter, en plusieurs messages, elle défend la dérogation : «Cette dérogation − temporaire et très encadrée − est la seule solution possible à court terme pour éviter l’effondrement de la filière sucrière en France [...] les alternatives aux néonicotinoïdes pour la betterave se sont avérées inefficaces pour l'instant. Les néonicotinoïdes sont donc la seule solution de court terme pour sauver la filière [...] Nous allons débloquer 5 millions d’euros pour la recherche d’alternatives pour la filière de la betterave et mettre en place un comité de suivi spécifique que nous présiderons avec Julien Denormandie [ministre de l'Agriculture].»
L'ONG Greenpeace n'a pas hésité à tacler la ministre : «Après le rejet de l’interdiction du glyphosate au cœur de la nuit parlementaire… Voici la ré-autorisation des néonicotinoïdes en plein été ! C’est un premier échec pour Barbara Pompili, et une terrible nouvelle pour l’environnement.»
Et l'organisation écologiste d'argumenter qu'une «alternative» existe bel et bien aux néonicotinoïdes mais «le gouvernement, en l’ignorant, a préféré une nouvelle fois céder au lobbying de la FNSEA [principal syndicat des agriculteurs]».
Dans une lettre ouverte à Julien Denormandie, l'association Terres d'abeilles et le Syndicat national d'apuculture se disent pour leur part stupéfaits, jugeant que le ministre de l'agriculture cède «à la pression des lobbys agro-chimiques au mépris des résultats sans appel des récentes élections municipales en faveur de l’écologie et en opposition avec les promesses de progrès environnementaux annoncées à l’occasion par Emmanuel Macron». «Le retour aux néonicotinoïdes [...] est une invraisemblable régression», déplorent-ils.
La dérogation gouvernementale n'est toutefois pas réellement une surprise. Sur BFM TV, Le 26 juin 2017, le ministre de l'Agriculture de l'époque, Stéphane Travert, souhaitait déjà que la France s'aligne sur le sujet avec l'Union européenne (qui, en 2017, n'avait pas interdit ces insecticides). «Nous devons pouvoir autoriser des dérogations pour en permettre l’utilisation afin que nos producteurs continuent à travailler dans de bonnes conditions», avait-il ajouté.
Alors tout nouveau ministre de la Transition écologique en juin 2017, Nicolas Hulot avait déjà montré un premier désaccord avec la position de Stéphane Travert.