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Après le scandale du sang contaminé, celui des soignants infectés ? Des médecins dénoncent

21 médecins libéraux sont décédés des suites du Covid-19 : c'est davantage que les médecins hospitaliers. Furieux de n'avoir pu disposer des protections nécessaires, des praticiens interrogés par RT France s'indignent de la gestion du gouvernement.

«Il y a eu le scandale du sang contaminé et il va y avoir le scandale des médecins contaminés», avertit Jérôme Marty, généraliste et président du syndicat de l'Union française pour une Médecine Libre (UFML), interviewé par RT France. 21 médecins de ville sont en effet décédés des suites du Covid-19 contracté durant des consultations, selon les données de la Caisse autonome de retraite des médecins de France (CARMF). L'organisme recense également 4 500 praticiens contaminés. Durant la même période, dix médecins hospitaliers au minimum auraient perdu la vie, et 6 019 cas potentiels d'infection ont été rapportés parmi les professionnels de santé et les salariés d'établissements médico-sociaux, selon l'agence Santé publique France.

Il y a eu le scandale du sang contaminé et il va y avoir le scandale des médecins contaminés

Ce bilan humain terrible scandalise les médecins interviewés par RT France. «Le drame aurait pu être évité en bénéficiant de moyens de protections adaptées dès le début de la crise, ce qui n'a pas été le cas», estime Christophe Prudhomme, médecin urgentiste au Samu de Seine-Saint-Denis et délégué CGT.

Mais l'évaluation totale des décès des professionnels de santé par les autorités n'est toujours pas à l'ordre du jour. Christophe Prudhomme a demandé ces chiffres au gouvernement. «Le ministre de la Santé a été incapable de nous donner des chiffres précis et validés. On a non seulement une administration, des agences de santé régionales mais aussi un ministère de la Santé, qui ne sont pas capables de nous donner les moyens de protection et qui sont incapables de compter les morts», s'insurge le médecin urgentiste.

Des consignes inadaptées données à la profession

Pourquoi les soignants, confrontés au quotidien à des patient infectés, n'ont-ils pas disposé des protections suffisantes ? Les messages contradictoires et les décisions du gouvernement guidé le conseil scientifique créé à l'occasion de cette crise auraient pesé sur les capacités de la profession à se protéger. Alors que l'épidémie se répandait en France début mars, Emmanuel Macron a ordonné la réquisition des stocks et commandes de masques de France, en réservant les plus protecteurs, dits FFP2, aux soignants des hôpitaux.

«Edouard Philippe a bien dit qu'il fallait donner la priorité aux hospitaliers, qui étaient en "première ligne"; alors que c’est nous qui passons le plus de temps avec les patients. Sa responsabilité est donc pleine et assumée», explique Bertrand Legrand, médecin généraliste à Tourcoing et secrétaire général de la CSMF 59-62. Le gouvernement a donc estimé que les masques chirurgicaux – ou FFP1 – moins étanches, étaient suffisants pour les médecins de ville. «On était avec notre petit masque, on appelait les ambulanciers pour venir emporter nos malades. ils arrivaient en scaphandre... Cherchez l'erreur !», tonne Jérôme Marty.

Les hôpitaux étaient-ils mieux lotis ? En réalité, ils ne recevaient pas assez de ces masques protecteurs, puisque la France n'en disposait pas suffisamment, n'ayant pas constitué de stocks ces dernières années par mesure d'économie. Ainsi, malgré les promesses gouvernementales, début avril, 78% des infirmières disaient manquer de masques FFP2, selon un sondage réalisé par le Syndicat national professionnel infirmier.

En fait, il n'y avait pas de stocks de masques. Ils ont enfumé les médecins libéraux

Les médecins libéraux dans le même temps, qui devaient se contenter de masques chirurgicaux, ne les obtenaient pas non plus. Comme l'explique Bertrand Legrand, dans un premier temps, la consigne avait été donnée aux praticiens de ville de consulter en portant un masque FFP1 et d'en donner un à chaque patient. «L'idée était de confier 50 masques à tous les médecins. Pour ceux qui n’ont pas fait une règle de trois... on tient dix jours. Dès le départ j'ai alerté sur le nombre de masques dans le stock en France, mais nous n'avons jamais eu de réponse : en fait, il n'y avait pas de stocks de masques. Ils ont enfumé les médecins libéraux», fulmine-t-il.

Selon Bertrand Legrand, ces directives ont eu des conséquences dévastatrices. Pensant être protégés par d'hypothétiques masques, ou encore que les outils les plus efficaces n'étaient pas nécessaires, les médecins n'ont pu, selon lui, songer à d'autres manières de se protéger, par exemple en organisant un double circuit de patients, ou en cessant de prendre la tension, un geste contaminant. «Alors que si vous savez que l'Etat ne peut pas vous offrir de protections, vous ne prenez pas de risque. Comme les politiques ne nous disent pas la réalité des choses, ils ne peuvent pas bien nous conseiller», estime-t-il. «On nous a menti, y compris les experts qui ont raconté n'importe quoi, déplore l'urgentiste Christophe Prudhomme.

Des masques moins protecteurs et introuvables

Début mars, les syndicats de médecine libérale ont fini par protester contre ce manque de protection et exigé des modèles ffp2. En réponse, le 13 mars, le ministre de la santé Olivier Véran annonce changer de doctrine et distribuer ces masques protecteurs à la médecine de ville, affirmant disposer de stocks de dizaines de millions. «Mais on ne les a jamais vus arriver !», se plaint Jérôme Marty. «Les pharmaciens recevaient des boites de 50 masques pour l'ensemble des praticiens du quartier. Ca a duré pendant des semaines, et on n'a jamais eu de FFP2. Ensuite ils sont revenus à la doctrine des FFP2 réservés aux gestes invasifs à l'hôpital. Et c'est une aberration !», juge-t-il.

Pour acheter des masques, ils ont pris Gérard de la compta du ministère, la seule chose qu'il ait jamais achetée, c'est un sandwich en bas du bureau !

Selon le président du syndicat, le gouvernement aurait du confier les achats de masques au secteur privé. «C'est l'Etat qui s'est chargé d'acheter des stocks de masques, mais ce sont des incapables ! Ils disent qu'ils se sont heurtés à la concurrence internationale. Mais ce n'est pas étonnant. Il fallait confier les commandes à des commerciaux, des requins qui savent se battre pour gérer cela ! »

Bertrand Legrand explique qu'il a fini par disposer des protections nécessaires grâce au système D, en s'organisant, puisqu'il n'avait rien. Il a installé une vitre en plexiglas, a fléché des distances au sol...et recycle ses masques. «Comme dans les pays du tiers-monde», ironise-t-il.

Les autorités traduites en justice par les soignants ?

Lors de son allocution du 28 février, Edouard Philippe a évoqué le personnel hospitalier en première ligne, mais n'a réservé un mot pour la médecine de ville que pour les enjoindre à remonter les cas contacts lors du déconfinement.

C'est un mensonge d’Etat grave. Tout cela se plaidera après la crise. On attaquera par respect pour la médecine libérale

Scandalisés par le manque de reconnaissance, ces médecins expliquent à RT France être révoltés par les consignes mensongères à cause de la pénurie, aux conséquences dramatiques. «Je suis très en colère contre Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé et Edouard Philippe, qui nous ont fait perdre du temps et prendre des risques», se plaint le président de l'UFML. En 2018, l'agence nationale Santé publique France avait bien prévenu Jérôme Salomon, du manque de masques, tout comme d'autres experts en 2019. «Pourtant quand on lui pose la question en février, il explique qu'aucune pénurie de masques n’est à craindre. C'est un mensonge d’Etat grave. Tout cela se plaidera après la crise. On attaquera par respect pour la médecine libérale», prévient-il.

Pour Bertrand Legrand, «il n'y aura pas de scandale maintenant». Car pour l'heure, le généraliste doit redoubler d'efforts pour s'atteler à dépister tous les patients en s'alliant avec un biologiste : c'est la première initiative de ce type dans le Nord. Il décrie les nouvelles directives consistant à ne tester que les patients présentant des symptômes, et plaide pour un dépistage de la population, seule stratégie utile à ses yeux. 

Les autorités sanitaires et le gouvernement seront-ils tenus responsables de la mort des soignants, en libéral et à l'hôpital ? Alors que l'épidémie est loin d'être terminée, les dépôts de plainte se sont mises à pleuvoir. 28 collectifs ont porté plainte pour mise en danger de la vie d’autrui, homicide involontaire, ou non-assistance à personne en danger, devant la Cour de justice de la République. Concernant spécifiquement les soignants, le collectif de soignants C19, composé de 600 médecins, a attaqué Agnès Buzyn, l'ancienne ministre de la Santé, et le Premier ministre le 19 mars pour manquements. La fédération CGT de la santé a déposé une plainte contre X le 10 avril 2020. Après la deuxième vague épidémique, un tsunami judiciaire contre la gestion de la crise sanitaire se prépare à frapper.

Katia Pecnik