L'après crise est déjà à l'étude et une entreprise de lobbying est déjà à l'œuvre pour influencer les décisions de politiques publiques. La puissante organisation patronale du Medef a lancé les hostilités par la voie de son président Geoffroy Roux de Bézieux. A la question de savoir qui réglera la dette de la crise sanitaire et économique, celui-ci a jugé, le 10 avril, «qu'il faudra bien se poser la question tôt ou tard du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise et faciliter, en travaillant un peu plus, la création de croissance supplémentaire». Un propos plutôt bien accueilli par la secrétaire d'Etat à l'Economie Agnès Pannier-Runacher. Le 11 avril sur France info, elle a également prévenu qu'«il faudra probablement travailler plus que nous ne l'avons fait avant [pour] rattraper» la perte d'activité induite par le confinement. «L'enjeu [avec le plan d'urgence à hauteur de 100 milliards d'euros] est de donner de l'oxygène aux entreprises pour qu'elles survivent et passent le cap, mais derrière, il faudra mettre les bouchées doubles pour créer de la richesse collective», a-t-elle par ailleurs insisté.
Habituée aux couacs, la secrétaire d'Etat a vu la macronie devoir rectifier le tir peu après cette intervention. Son secrétariat d'Etat a tenté de tempérer ses propos, le 13 avril : «[Sa déclaration] n'était pas une réponse aux propos du président du Medef mais concernait la situation des indépendants et des petites entreprises.»
Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, qui avait proposé aux Français de manière un peu floue, le 10 avril, de faire des «efforts», a mis de l'eau dans son vin le 14 avril sur RMC, en répondant particulièrement au Medef : «C'est une drôle d'idée de réfléchir comme cela. [...] J'ai toujours dit qu'il faudrait faire des efforts, mais quels efforts, de quels efforts je parle ? Déjà, il faut faire preuve d'un effort de solidarité. Solidarité entre les entreprises, solidarité des grandes entreprises vis-à-vis de leurs sous-traitants, solidarité des grands distributeurs qui le font aujourd'hui vis-à-vis des producteurs français, pour avoir des produits agricoles français dans les grands magasins qui distribuent notre alimentation. Effort de solidarité. Effort en deuxième lieu de justice. J'avais dit en janvier 2020, et Dieu sait que ça avait été critiqué, qu'aujourd'hui les revenus les moins qualifiés, les plus modestes, n'étaient pas suffisants, et que nous avions un vrai sujet là-dessus.»
Le tollé provoqué par le Medef et Agnès Pannier-Runacher ont provoqué en quelque sorte une mini-crise sociale en pleine crise Covid-19. «Cette proposition de travailler plus, c'est totalement indécent», s'est indigné sur France 2, le 12 avril, le numéro 1 de la CFDT Laurent Berger, l'un des syndicats pourtant les plus favorables aux réformes libérales.
Sur le court-terme, le gouvernement a toutefois prévu quelques mesures restrictives, à l'encontre de certains fonctionnaires. Une ordonnance du 15 avril peut ainsi imposer aux agents publics (hors enseignants et agents de la fonction publique hospitalière) la prise de congés et RTT pendant la période de confinement. Cela permettra de rendre au maximum mobilisables les agents publics lors du déconfinement. Une ordonnance qui a fait enrager FO Fonction publique, ce 17 avril : «La santé avant l’économie ! Plutôt que d’utiliser l’état d’urgence pour amputer les droits de salariés, le gouvernement devrait s’occuper de fournir les masques homologués et les tests de dépistage pour tous, sans lesquels il n’y aura pas de "reprise" à partir du 11 mai ! Les droits de retrait s’exerceront et des préavis de grève sont d’ores-et-déjà déposés !»
«Contraindre les puissants», politique de relance, la droite modérée remet en cause le modèle libéral
Les annonces du Medef et d'Agnès Pannier-Runacher auraient pu, pour leur part, plaire à la droite centriste et libérale. En réalité, à droite, ils sont peu nombreux à soutenir cette philosophie. Le chef de file des sénateurs Les Républicains (LR) Bruno Retailleau, interrogé le 13 avril sur France info, l'«assume» pour sa part : «On ne se tire des épreuves, individuelles ou collectives, que par un surcroît d'efforts [...] Tout le monde devra faire des efforts. Les entreprises comme les salariés.»
Malgré tout, au sein de cette droite modérée, la posture a semble-t-il, radicalement, changé, prônant une critique du tropisme austéritaire. Ex-partisan de la règle d'or budgétaire et de la baisse de la dépense publique, le président du conseil régional des Hauts-de-France, Xavier Bertrand (ex-Les Républicains) a fait une intervention remarquée pouvant satisfaire les néo-keynésiens. Sur BFM TV, le 12 avril, il a ainsi mis en garde tous les laudateurs de l'austérité : «Si à la sortie de cette crise, la réponse est l’austérité, [ceux qui nous gouvernent] n’ont rien compris du tout. L'austérité et les logiques comptables, c'est quand même ce qui nous a mis dans cette situation-là, notamment pour les enjeux de santé et de production de biens de santé [...] Et je suis farouchement opposé à l’idée de faire payer la facture aux salariés.» Formulant une réponse au Medef et à la secrétaire d'Etat à l'Economie, Agnès Pannier-Runacher, Xavier Bertrand leur a demandé de se mettre «un quart de seconde à la place des Français, des catégories moyennes et populaires».
Le président des députés Les Républicains et soutien de François Fillon en 2017, Damien Abad, a également désapprouvé le discours punitif à l'encontre des salariés : «Il est hors de question que ce soit les salariés qui paient la facture en sacrifiant leur RTT et jours de congés payés. Si on travaille plus, on doit gagner plus. ce n'est pas en sacrifiant nos salariés mais en valorisant leur travail que l'on relèvera notre économie.»
Dans une orientation encore plus sociale, le député Les Républicains, ex-sarkozyste, Guillaume Peltier a pour sa part estimé sur Sud Radio, le 14 avril, que si la «première des priorités» doit être de «récompenser mieux le travail et donc d'augmenter les revenus», la seconde est de «contraindre les puissants, en particulier les banques, les assurances, les sociétés d'autoroutes, à participer à l'effort national». «Je proposerai un plan de lutte contre la fraude sociale et fiscale», a-t-il appuyé. Une droite qui partage ici quelques points communs avec la gauche.
La France insoumise veut que la dette soit rachetée par la BCE
Les insoumis, logiquement critiques sur le «travailler plus», redoutent une part d'hypocrisie des anciens promoteurs du sarkozysme ou du fillonisme, devenir de fait par circonstance, les chantres de l'anti-austérité. Adrien Quatennens a ainsi noté ce 17 avril sur Twitter que «toutes sortes d'acteurs politiques vont flotter comme un bouchon à la surface». «Les insoumis, eux, ont le mérite de la constance de leur programme», a-t-il ajouté.
Dans un communiqué, La France insoumise a d'ailleurs accusé «les libéraux» d'adopter la même attitude qu'après la crise financière de 2008 : «Ils s’approprient les mots et les idées qui circulent déjà depuis longtemps et qu’ils avaient tant raillés. Ils voudraient faire croire que tout reste à inventer. Comme s’il n’y avait eu ni alertes, ni réflexions, ni propositions avant la catastrophe en cours. Encore une façon de s’amnistier de leurs terribles responsabilités !». Le mouvement a notamment proposé de «relocaliser d’urgence les productions essentielles à la vie de notre pays (santé, énergie, …) pour pouvoir faire face aux futures crises mondiales qui risquent d’éclater», d'«appliquer réellement et immédiatement les 35 heures» ou de «désobéir à la Commission [européenne] et déchirer les traités [car] les règles des traités européens imposent l’austérité budgétaire, le libre-échange et la destruction des services publics».
Concernant l'endettement lié à la crise, Jean-Luc Mélenchon a affirmé, lors d'une intervention à l’Assemblée nationale ce 17 avril, que la dette «est impayable» et qu’il faut «abattre [ce] mur». Sur les réseaux sociaux, il a demandé par voie de conséquence à ce que cette dette soit rachetée par la Banque centrale européenne : «Que la BCE rachète les dettes des Etats et les transforme en dette perpétuelle à intérêt négatif. L’ancienne dette fondrait ainsi peu à peu et les Etats retrouveraient leur capacité de financement.»
Bastien Gouly