France

Géolocalisation, traçabilité et drones face au Covid-19 : Jacques Toubon donne l'alerte

Ancien ministre de la Justice et désormais Défenseur des droits, Jacques Toubon alerte sur les possibles dérives intrusives et autoritaires des gouvernements qui accroissent la surveillance de masse pour lutter contre la pandémie de Covid-19.

Jacques Toubon, l'actuel Défenseur des droits nommé en 2014 pour une période de 6 ans par François Hollande, a analysé les dangers de l'amplification de la surveillance par les gouvernements pour lutter contre la pandémie de Covid-19, lors d'un entretien pour L'Obs, paru le 30 mars.

En effet, depuis le début de la pandémie, de nombreux pays à travers le monde ont recours aux drones, à la géolocalisation des téléphones portables, au stockage et à l'analyse de données personnelles grâce à la coopération des opérateurs téléphoniques, pour savoir si chaque citoyen respecte les mesures restrictives instaurées.

D'après Le Monde, au cours de ces derniers jours, l'opérateur de télécommunications Orange a fourni «aux autorités sanitaires, et à des chercheurs, des données anonymisées pour étudier les déplacements de la population, et aider à mieux modéliser la réalité de la pandémie et du confinement en France».

Aussi utiles que ces outils puissent être en temps de crise sanitaire de grande ampleur, Jacques Toubon, comme le lanceur d'alerte Edward Snowden la semaine dernière, alerte sur les risques d'une surveillance de masse renforcée et facilitée par les nouvelles technologies liées à l'intelligence artificielle. De surcroît, ce dispositif pourrait perdurer après la fin de la pandémie et avoir par conséquent des effets sur les libertés civiles. 

Des mesures «exceptionnelles et temporaires»?

Le Défenseur des droits relève que «le corpus juridique européen ouvre la possibilité de prendre des mesures exceptionnelles. Et donc de collecter des données individuelles sans le consentement des intéressés, en particulier en situation d'épidémie»Toutefois, précise Jacques Toubon, «il faut, dans ces conditions, que les Etats nationaux l’autorisent».

Car de telles mesures doivent être, d'une part, exceptionnelles et temporaires, et, d'autre part, nécessaires et proportionnées. Elles doivent faire l'objet d’une large acceptation sociale

En France, si de telles mesures exceptionnelles devaient être mises en place, comme un suivi généralisé de chaque individu, il serait nécessaire «d'ouvrir un débat devant la représentation nationale», souligne-t-il. Et de poursuivre : «Cette affaire ne pourra pas se régler seulement entre les industriels [les opérateurs de téléphonie], les épidémiologistes et le ministre de la Santé.»

«Car de telles mesures doivent être, d'une part, exceptionnelles et temporaires, et, d'autre part, nécessaires et proportionnées. Elles doivent faire l'objet d’une large acceptation sociale», précise ensuite Jacques Toubon. Pour celui-ci, «il faut en passer par un débat dans l'opinion, et forcément mettre à l'examen un texte qui fixe les règles».

Et le Défenseur des droits de s'interroger : «La nécessité de préserver des vies en obtenant le maximum d'informations justifie-t-elle de prendre des mesures qui seraient contraires à nos grands principes ? [...] Faudrait-il encore que ces méthodes soient assez efficaces pour que le rapport coût/bénéfice en termes d’atteintes aux libertés soit suffisamment positif.»

Jusqu'où aller pour préserver des vies ?

Le 23 mars, le lanceur d'alerte américain Edward Snowden revenait quant à lui, lors d'une interview par vidéoconférence pour le Festival du film documentaire de Copenhague, sur l'opportunité que représente une telle crise pour un gouvernement. Pour lui, les outils technologiques et législatifs mis en place par divers gouvernements dans l'urgence ont «tendance à se pérenniser».

Au-delà de l'amplification des moyens de surveillance, les gouvernements pourraient étendre durablement l'accès dont ils disposent déjà pour surveiller les informations personnelles des citoyens, soit bien après la fin de la crise sanitaire. 

Dans le cadre de la pandémie de Covid-19, de plus en plus d'Etats ont émis «des propositions visant à surveiller l'épidémie en suivant les données de géolocalisation des téléphones portables. Cela pourrait s'avérer une méthode puissante pour suivre la propagation du virus et les déplacements des personnes qui en sont porteuses, mais ce sera aussi un outil tentant pour traquer les terroristes, ou tout autre ennemi potentiel des Etats», selon Edward Snowden.